Michel Bergeron, lauréate

Naissance le 10 avril 1933 à Alma, décès le 28 février 2021 à 

Biographie

Pour la première fois depuis sa création en 1997, le prix Georges-Émile-Lapalme est remis à un scientifique. Ce choix pourra paraître incongru à certains tant la langue et la science semblent appartenir à deux univers distincts de la culture. C’est pourtant au cœur même de cette opinion trop largement répandue que se situe le combat en faveur de l’usage de la langue française dans les sciences pour lequel le docteur Michel Bergeron est aujourd’hui honoré.

Médecin spécialiste en néphrologie, professeur titulaire et chercheur au Département de physiologie de l’Université de Montréal, Michel Bergeron juge cependant nécessaire de souligner d’emblée qu’il est avant tout un scientifique. Selon lui, la volonté bien arrêtée de défendre l’usage de la langue maternelle dans les communications scientifiques, que ce soit le français, l’espagnol ou le portugais, ne condamne aucunement à trahir la vocation du chercheur. Il se veut clair : sa véritable carrière, c’est la science ; et les 33 années qu’il a consacrées à la recherche médicale constituent l’essentiel de sa vie professionnelle. À preuve, le prix Michel-Sarrazin de la Société canadienne de physiologie qu’il a reçu en 1999 pour l’ensemble de son œuvre scientifique. Il se défend donc à juste titre de faire du français scientifique, de la linguistique. « Ce que l’on fait, c’est de la science en français », déclare-t-il avec passion, comme en témoigne d’ailleurs fort éloquemment le rayonnement de la revue internationale médecine/sciences dont il a été l’un des fondateurs et le rédacteur en chef québécois pendant 15 ans.

La nécessité de créer une revue de sciences biomédicales de langue française s’est imposée à l’issue du colloque international sur l’usage du français en science qui s’est tenu à Québec en 1981. La période de gestation de ce projet franco-québécois allait mettre en présence des positions divergentes quant au contenu de la nouvelle revue scientifique. La proposition des représentants québécois « ne correspondait pas à celle que privilégiait la majorité des intervenants en France… ». La position du docteur Michel Bergeron et de ses collègues s’articulait d’abord autour de la carence dans la francophonie d’une revue dans laquelle des éditoriaux prendraient position sur des sujets de recherche actuels : par exemple, doit-on utiliser l’interféron ou que signifie la thérapie génique pour le praticien et le patient ? Aussi, pour les Québécois, cette revue devait être multidisciplinaire afin de favoriser les échanges entre les chercheurs. Et enfin, ces derniers « n’accepteraient que le modèle d’une très grande revue internationale ».

Grâce, entre autres, à l’appui du grand chercheur français Jean Hamburger, qui avait lui-même caressé le projet d’une telle revue, c’est le modèle québécois qui a finalement prévalu. C’est ainsi qu’à raison de 10 numéros par année, médecine/sciences qui est imprimée simultanément en France et au Québec, a publié depuis sa première parution en mars 1985 jusqu’à la fin de l’an 2000 au-delà de 18 000 pages ainsi que des lexiques didactiques, des suppléments, des numéros spéciaux et, au Canada, un trimestriel, devenu bimestriel à l’intention des omnipraticiens : Les Sélections de médecine/sciences. Pour ces derniers, il s’agit d’un instrument unique et primordial pour le maintien et l’élargissement de leur compétence. Canal privilégié pour les chercheurs qui désirent communiquer directement en français les résultats de leurs travaux, médecine/sciences est devenue la première revue multidisciplinaire biomédicale de la francophonie.

Au moment de quitter son poste de rédacteur en chef, Michel Bergeron écrit que « seule une revue prestigieuse pouvait obtenir un tel concours de contenu scientifique, de réflexions philosophiques et éthiques, de signatures prestigieuses ». Malgré toutes les difficultés inhérentes au maintien d’une telle publication – on peut penser au financement et au défi de la diffusion virtuelle –, le pari du docteur Bergeron et de ses collègues de France et du Québec semble bien avoir été tenu. Dans le domaine de la science comme dans les autres, nul hommage ne peut être mieux ressenti que celui de ses pairs. Le rédacteur en chef de la prestigieuse revue Science de Washington, Philip H. Abelson, déclarait lors du dixième anniversaire de la fondation de la revue que, selon lui, « les normes de médecine/sciences égalent ou même excèdent celles de ses contreparties britanniques ou américaines ». Le succès de cette revue de haut niveau prouve avant tout que faire de la science en français n’équivaut nullement à faire de la science à rabais.

Michel Bergeron ne conteste pas le fait que l’anglais se soit imposé, particulièrement au cours des dernières décennies, comme la langue de la « république de la science ». On doit admettre, pense-t-il, que les chercheurs ont besoin d’une langue commune pour communiquer entre eux. Plus : en utilisant l’anglais, nos chercheurs accroissent la renommée de la communauté scientifique francophone. Son engagement se situe plutôt sur le plan de ce que nous appelons aujourd’hui la diversité culturelle. Il revendique pour les individus et les sociétés qui appartiennent à un univers culturel autre qu’anglophone le droit et le pouvoir de nourrir la science et d’être nourris par elle. Il exhorte ces mêmes individus et sociétés à revendiquer ce droit et à s’emparer de ce pouvoir. « Ne pas maîtriser sa langue, c’est, pour le scientifique comme pour le littéraire, se placer en état d’infériorité, car la science a besoin de la précision des mots pour traduire ses concepts. » La science est d’ailleurs un facteur important de l’évolution de la langue comme nous le rappellent tous ces néologismes que nous utilisons quotidiennement. « Un individu, une société qui refusent de s’approprier la science – le langage est la première forme d’appropriation –, écrit-il encore, se condamnent à s’appauvrir. » Il ne faut pas oublier, note le docteur Bergeron, que la science est de loin le facteur sociologique qui apporte le plus de changements dans nos sociétés. Ainsi, une société qui accepterait que la science soit systématiquement dite dans une autre langue que la sienne tournerait le dos à la modernité. Enfin, sur le plan social, s’interroge encore Michel Bergeron, l’éthique n’exige-t-elle pas que le scientifique communique dans la langue de ses concitoyens les résultats d’une recherche qu’ils ont financée ?

Michel Bergeron est professeur titulaire au Département de physiologie de l’Université de Montréal depuis 1975 et en a été le directeur de 1986 à 1993. Il est l’auteur d’importantes découvertes scientifiques et a publié quelque 80 articles dans des revues et ouvrages savants. Ses contributions originales majeures portant sur l’organisation tridimensionnelle et les relations morphofonctionnelles entre les organites de la cellule lui ont valu d’être sollicité pour rédiger des chapitres de traités américains de Néphrologie et de traités de Maladies génétiques. Jouissant d’une reconnaissance internationale, il a été invité comme conférencier dans de nombreux pays des Amériques, d’Asie, d’Afrique et d’Europe. Malgré tout, l’hommage auquel il demeure le plus sensible est le prix à son nom (prix Michel-Bergeron) qu’accorde annuellement l’Association des étudiants aux grades supérieurs de la faculté de médecine de l’Université de Montréal au meilleur travail de vulgarisation scientifique écrit par un étudiant en recherche en sciences de la santé.

Quant au prix Georges-Émile-Lapalme, Michel Bergeron l’accepte avec bonheur et reconnaissance sachant que cette prestigieuse récompense fait ainsi œuvre de réconciliation avec la grande culture humaniste. Il s’en réjouit aussi pour tous les politiques, fonctionnaires, scientifiques et tous les artisans de médecine/sciences qui, en France comme au Québec, ont démontré une foi robuste dans cette aventure. Le premier mérite en revient aux auteurs : ils sont médecine/sciences.

Information complémentaire

Date de remise :
20 novembre 2001

Membres du jury :
Gilles Pellerin (président)
Philippe Barbaud
Johanne Boucher
René Lesage

Crédit photo :
  • Marc-André Grenier
Texte :
  • Gaëtan Lemay