Michel van Schendel, lauréate

Naissance le 16 juin 1929 à Asnières, France, décès le 9 octobre 2005 à Montréal

Entrevue

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Biographie

La chronique dit de l’écrivain qu’il est né en 1929 à Asnières,
en France, de parents belges, qu’il vit en Belgique au moment de la Seconde
Guerre mondiale et qu’il revient à son lieu de naissance à la
fin de celle-ci, pour ensuite émigrer au Québec en 1952. Ce qu’elle
ne dit pas cependant, c’est que cette guerre sonne le glas d’une
enfance plutôt heureuse, que Michel van Schendel retourne à Paris à l’âge
de 17 ans comme on remonte à une source et que là, s’opère
l’étonnante renaissance qui fera de lui l’homme, l’essayiste
et le poète engagé qu’il est depuis, l’un des auteurs
les plus singuliers de la littérature québécoise contemporaine.
Il en résultera une œuvre poétique aussi riche qu’exigeante
marquée par un constant défi aux règles des genres. « L’écriture
de Michel van Schendel, écrit Louise Dupré, en est une de recherche
formelle qui sonde les limites entre le poétique, le narratif et le
réflexif, recherche où la vision du fragmentaire remet sans cesse
en cause la totalité. »

Avec Un temps éventuel, histoire d’un homme et de plusieurs,
paru en 2002 en même temps que son reflet poétique Quand demeure,
Michel van Schendel compose à plusieurs voix une autofiction qui
remonte d’un
pas erratique le parcours de sa mise au monde en tant qu’homme, essayiste
et poète. « Il n’est pas possible, j’en ai l’intime
conviction, écrit-il dans l’introduction, de conter les faits
saillants ou anodins d’une vie, surtout la sienne, sans recourir aux
procédés de la fiction. Celle-ci est le plus court chemin de
la vérité. » De son enfance, l’auteur ne retiendra,
pour le moment du moins, que quelques souvenirs : la mer et le jardin qu’il
imagine à partir d’un prunier du Japon enserré de murs
sous les cheminées d’usine, les fesses et les seins de sa tante
dont il partage la chambre et surtout la maladie du printemps 1942 qui l’éveillera à l’inégalité que
la guerre exacerbe entre riches et pauvres. À l’Université de
Paris, il étudie le droit et les sciences économiques. Contrairement
aux confrères qui regardent de haut le personnel d’entretien,
il sympathise vite avec une femme de ménage de la cité universitaire.
Bien qu’équivoque en ce qui le concerne, cette relation se développera
en une amitié profonde empreinte d’une grande tendresse pour elle,
mais aussi pour le couple d’ouvriers qu’ils forment, elle et son
mari, et dont il dira qu’ils lui ont appris à vivre. « Et
apprendre à vivre, c’est apprendre la solidarité. J’ai
appris à vivre dans ce sens-là au contact d’ouvriers comme
les Dohy et ensuite dans le combat politique. » Tout ce temps, il milite
au sein du Parti communiste français où il dit avoir fait, quoiqu’on
en dise, l’apprentissage d’une très grande liberté.

C’est auprès d’amis peintres comme Louis Tournay et surtout Émile
Hecq qu’il trouvera sa voie dans l’écriture. C’est
avec eux, écrit-il, qu’il deviendra poète. « Et avec
eux, parce qu’ils me montraient comment une forme apprend à résister,
je prenais plaisir à oser parler d’une main qui s’émerveille à dresser
les mots sur la page, de l’exercice auquel je commençais de livrer
une lumière sur le monde. » Michel van Schendel reçoit
de cette expérience fondatrice l’impulsion nécessaire au
combat de toute une vie : démontrer le lien essentiel entre le travail
intellectuel et le travail artistique. Se remémorant les jours sombres
de la dépression, il dira : « L’écriture est une
force, c’est une conscience, et c’est d’autant plus une conscience
que c’est un art, c’est-à-dire l’invention d’une
forme, et l’art… c’est la pensée vivante. » On
peut comprendre alors ce que signifie pour lui la parution en 2001 de Poésie
et politique. Mélanges offerts en hommage à Michel van Schendel
dans lequel des amis, des lecteurs, des collègues et des confrères
s’unissent « autour d’un homme dont la voix rayonne depuis
un demi-siècle d’histoire et d’amitié, d’un
homme qui nous entoure de ses paroles les plus diverses, poétiques,
politiques, critiques, théoriques, journalistiques, pédagogiques,
confinant toutes à la poésie, à la circonstance du poème
dont chaque détail se soucie de nous et embrasse le monde dans toute
son étendue. »

Michel van Schendel ne choisit pas de s’installer au Québec.
Les circonstances l’y obligent. Jamais il ne tentera de dissimuler l’amertume
et la déception qui marquent ses premières années en sol
québécois. Confiné à de petits travaux, il ne verra
son sort s’améliorer qu’en 1955 à la faveur d’une
série de chroniques pour la radio culturelle de la Société Radio-Canada
(SRC) pour un réalisateur dénommé Hubert Aquin. Pendant
plus de dix ans, son fougueux engagement culturel et social et l’étiquette
de communiste qui lui est accolée l’obligeront à de fréquentes
bifurcations professionnelles. Il sera tour à tour enseignant, journaliste,
chroniqueur ou rédacteur – au journal Le Devoir, au Nouveau Journal, à la
radio et à la télévision de Radio-Canada – traducteur
au sein de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et
le biculturalisme, et secrétaire de la Commission provinciale d’enquête
sur l’urbanisme dite commission La Haye. Il donnera de nombreux articles
aux revues Liberté, Cité libre, Parti pris et Socialisme, particulièrement à cette
dernière revue dont il sera le directeur de 1968 à 1971. Assez
curieusement, il sera l’un des premiers à s’intéresser
de près à la littérature québécoise, à en
faire la critique et à l’enseigner. Professeur de littérature
française et québécoise au secteur universitaire du Collège
Sainte-Marie, il deviendra ainsi l’un des fondateurs de l’Université du
Québec à Montréal où il enseignera pendant trente
ans au Département d’études littéraires et où,
comme par un juste retour des choses, il « n’enseigne pas seulement à être
un créateur : il montre à vivre », tel que l’écrit
une de ses anciennes étudiantes, la romancière et poète
Rachel Leclerc. Il milite au syndicat des professeurs jusqu’à sa
retraite en 1999.

Michel van Schendel a appris à aimer le Québec au point de ne
plus douter qu’il n’y a qu’ici que son parcours d’écrivain
et de poète aurait pu s’accomplir. Il exprime sa reconnaissance
envers ceux qui l’ont aidé « à devenir pleinement
poète ». Il pense au grand poète Paul-Marie Lapointe, l’ami
proche des quelque cinquante dernières années. Il pense à l’homme,
l’homme intègre, le solidaire, l’homme complet, l’ami,
le poète, peintre, graveur, éditeur Roland Giguère, décédé au
mois d’août 2003. Il en a tant reçu. Il pense à Gaston
Miron ; il reconnaît avoir une dette envers cet autre ami qui a eu la
sensibilité de l’aiguiller, dès 1956, sur l’exil,
l’un des thèmes porteurs de toute son œuvre. Un premier recueil,
Poèmes de l’Amérique étrangère, paraît
en 1958. Puis suivront Autre, autrement en 1983, Extrême livre des voyages
en 1987 et Bitumes en 1998. Deux ans plus tôt, paraissait Jousse
ou la traversée des Amériques
, conte à saveur autobiographique
qui ne raconte pas vraiment, qui dépayse au sens littéral du
terme, paroles d’errance dans le temps et l’espace jusqu’à l’enfance,
texte qui, comme toujours, exige ouverture, intelligence et travail de la part
du lecteur.

Chez Michel van Schendel, le travail du théoricien et du critique est
intimement lié à celui du poète et de l’écrivain.
Il en résulte une puissance d’évocation et une densité qui
provoquent le lecteur et qui singularisent grandement cette œuvre. Cela
donne de très beaux livres comme L’Impression du souci ou l’étendue
de la parole
(1993) où se mélangent poésie et réflexions.
Et auparavant, La Poésie et nous (1958), Ducharme l’admirable (1967). En 1992 et 1993 paraissent les deux premiers de quatre tomes de méditations
sur le poème intitulés Rebonds critiques. Les livres de Michel
Van Schendel ont presque tous été publiés à l’Hexagone
dont il est vite devenu l’un des piliers.

L’œuvre de Michel van Schendel rayonne ici et à l’étranger.
De l’œil et de l’écoute, rétrospective de vingt
ans d’écriture poétique parue en 1980, obtient en 1981
le Prix du Gouverneur général du Canada. Puis une traduction
de ses poèmes paraît à Rome en 1990 sous le titre Delta
di pietra
et le dialogue auquel cette traduction a donné lieu avec Lucia
Bonato sera publié en 1995 sous le titre Traduction : deux voix par
la prestigieuse maison Bulzoni.

Information complémentaire

Date de remise du prix :
18 novembre 2003

Membres du jury :
Louis Hamelin (président)
Hélène Dorion
Catherine Mavrikakis
Jacques Michon
Jean-Marie Poupart

Crédit photo :
  • Marc-André Grenier
Texte :
  • Gaëtan Lemay