Jacques Leduc, lauréate

Naissance le 25 novembre 1941 à Montréal, décès le à 

Entrevue

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Biographie

Quarante-cinq ans de carrière, trente films, des milliers de photos, des textes sur le cinéma. On peut ainsi résumer la vie et l’œuvre de Jacques Leduc, son parcours à la fois personnel et hybride. Sa carrière a été marquée par des ruptures et des constantes, et si on y regarde de près on découvre un homme profondément engagé, préoccupé par les situations sociales et politiques, n’hésitant pas dans le métier à déjouer les rouages de la réalisation, à être indocile aux règles établies. Il a su être anticonformiste et, par la réflexion, prendre du recul vis-à-vis de ses propres travaux. Quand on l’écoute parler, on a pourtant l’impression qu’il a privilégié le plaisir avant tout, menant avec indépendance sa barque, guidé par une sorte de confiance dans le destin. Et comme il nous le dit en entrevue, la chance a toujours été au rendez-vous.

Tout a commencé de manière classique, comme chez beaucoup de cinéastes de l’époque. Il a fréquenté le ciné-club de son collège et, très rapidement, à 15 ans, l’idée un jour de faire du cinéma s’implante en lui. Ainsi, il se souvient que certains films, comme L’aventure du Kon-Tiki, de Thor Heyerdhal, regardé trois fois la même journée, ont été déterminants pour lui. Il a la chance de vivre en même temps que l’âge d’or du cinéma américain, de voir les John Ford, Alfred Hitchcock, Fritz Lang. « La force des images a emporté ma décision », dit-il. Il devient un cinéphile averti et commence déjà à écrire sur le cinéma : il sera l’un des animateurs de la revue Objectif, fondée en 1960. Il ne cessera pas de prendre la plume pour défendre une haute idée du septième art, à Format cinéma dans les années 1980 et à 24 images dans les années 2000.

Deuxième coup de chance : entré à l’Office national du film pour un travail d’été en 1962, il devient l’année suivante assistant-caméraman, ce qui lui permettra – comme à plusieurs artisans de sa génération (réalisateurs, caméramans, preneurs de son) – d’apprendre le métier sur le tas. Quand la possibilité d’avoir accès au poste de réalisateur se présente, il n’hésite pas, et ce sera Chantal en vrac (1967), qui aura sa première au Festival international du film de Montréal cette année-là – sous les huées! C’est que ce film sur une jeunesse croulant sous le désarroi et le désœuvrement s’avère une expérience formelle débridée; Jacques Leduc y affirme déjà une liberté créatrice qui ne fléchira jamais. Le cinéma est chez lui une aventure, une expérience, une façon d’être au plus près de la réalité, de sa complexité, de sa richesse, et ses films, qu’ils soient courts ou longs métrages, documentaires ou de fiction, doivent rendre le réel dans toute son acuité et sa profondeur. L’ardeur, la hardiesse et la rigueur caractériseront ainsi une œuvre tendue par l’exploration formelle.

Jacques Leduc s’impose au public et aux critiques avec On est loin du soleil (1970), un long métrage en noir et blanc, dépouillé, ascétique, bien dans l’esprit du personnage historique évoqué: le frère André. Il aborde de manière oblique cette figure religieuse populaire : par une fiction représentant une famille modeste de Montréal, sa vie monotone et résignée. Avec ses plans longs et lents, l’œuvre est puissante par son écriture, sa densité, sa poésie. « C’était un film théorique en quelque sorte, très élaboré, où tout avait été pensé », avoue-t-il.

Les thèmes de la banalité et de l’ennui sont encore traités dans Tendresse ordinaire (1973). Se déroulant presque entièrement sur la Côte-Nord, le film est en couleurscette fois-ci, construit lui aussi en plans-séquences qui permettent d’appréhender lespersonnages dans l’espace et le temps, révélant leurs conduites et leurs sentiments.Mais contrairement à On est loin du soleil, une certaine improvisation est acceptéesur le plateau.

Jacques Leduc se tourne vers le documentaire et pendant quatre ans, de 1973 à 1977, réalise en collaboration avec d’autres cinéastes (Jean Chabot, Roger Frappier, Gilles Gascon, Jean-Guy Noël, etc.), une suite de sept films, de longueurs inégales, qui tiennent du documentaire, mais qui sont plus que du documentaire, et pourtant héritiers fidèles du cinéma direct des années 1960. Fascinante, Chronique de la vie quotidienne décrit des événements se déroulant dans une grande ville, selon les sept jours de la semaine. Il y avait chez le cinéaste le désir « d’archiver le présent, de voir les gens vivre et de vivre avec eux, en collant à leurs émotions, à leurs espoirs ».

Après ces opus impressionnistes et limpides, le cinéma de Jacques Leduc prend une autre tangente. Il se donne d’autres défis avec des films-essais surprenants : Albédo (coréalisatrice : Renée Roy; 1982), Le dernier glacier (coréalisateur : Roger Frappier; 1984) et Charade chinoise (1987), qui sont autant des réflexions sur l’époque que des tentatives de renouvellement du documentaire.

Le cinéaste se consacre ensuite entièrement à la fiction et tourne quatre longs métrages qui sont autant de coups de sonde au cœur de la vie individuelle et collective des Québécois. Dans Trois pommes à côté du sommeil (1989), un homme de quarante ans se remet en question; c’est un film presque autobiographique auquel l’auteur tient beaucoup. L’enfant sur le lac (1991) porte sur un écroulement psychique quand un homme apprend que sa conjointe l’a trompé. La vie fantôme (1992) présente un homme pris entre deux amours, tandis que L’âge de braise (1998) met en scène une femme dans les derniers mois de sa vie. Ce film très sombre sera le dernier signé Jacques Leduc, qui préférera se consacrer ensuite au métier de caméraman avec, notamment, André Gladu, Sylvain L’Espérance, Tahani Rached, Johanne Prégent. Il n’y a pas de différence pour lui entre tenir la caméra ou diriger des acteurs, c’est toujours faire une œuvre collective. « Je ne comprends pas qu’on affiche dans un générique “Un film de” », conclut-il.

C’est la photographie qui l’accapare dorénavant. Il confie qu’il veut classer 50 000 photos prises depuis le début des années 1970, entièrement en noir et blanc, dont les sujets sont les paysages, les horizons, l’œil aspiré par la perspective. « Mais les portraits n’ont pas été négligés non plus », précise-t-il.

Plusieurs films de Jacques Leduc sont à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire du cinéma québécois. Au-delà d’une conception exigeante du cinéma comme bouleversement esthétique, son œuvre est irréductible : elle lui ressemble. Ainsi, jeune, il filme des jeunes comme dans Chantal en vrac ou Cap d’espoir (1969); dans la quarantaine, il met en scène des adultes qui font le bilan de leur vie comme dans Trois pommes à côté du sommeil. Les accompagnant, il nous demande de les écouter, de prendre conscience de la société dans laquelle ils vivent. Il donne ainsi, dans l’enthousiasme et la générosité, un cinéma de la vigilance et de la résistance dans lequel la morale de l’image se traduirait par la volonté de voir et de penser le monde.

Information complémentaire

Date de remise du prix :
19 novembre 2008

Membres du jury :
Marc Daigle
(président)
Ghislaine Côté
Louise Jobin
Jacques Matte

Crédit photo :
  • Rémy Boily
Crédit vidéo :
Production : Ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale du Québec (MESS)
Réalisation : Alain Drolet
Coordinatrice de production : Pascale Rousseau
Caméra et direction photo : Ronald Landry
Caméra : Alain Drolet
Prise de son : Marcel Fraser
Montage : Luc Saint-Laurent, MESS
Montage sonore : Olivier Auriol, Studio Expression
Programmation DVD : Luc Saint-Laurent, MESS
Compression numérique : Francis Laplante, IXmédia
Musique originale : Alexis Le May
Musiciens : Katia Durette, Yana Ouellet, Stéphane Fontaine, Annie Morier, Caroline Béchard,
Suzanne Villeneuve, Benoît Cormier, Jean Robitaille, André Villeneuve, Daniel Tardif, Alexis Le May,
Éric Pfalzgraf
Narratrice : Sophie Magnan
Entrevue : Suzanne Laberge
Lieu du tournage : Parc Lafontaine (Montréal)
Photographies : Jacques Leduc
Texte :
  • André Roy