François-Marc Gagnon, lauréate

Histoire de l'art

Naissance le 18 juin 1935 à Paris, décès le 28 mars 2019 à 

Entrevue

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Biographie

Tout jeune enfant encore, François-Marc Gagnon aura vu défiler à la maison une armada de peintres : Charles Daudelin, Alfred Pellan, Louis Muhlstock, Fernand Léger et surtout Paul-Émile Borduas avec qui sa mère, fervente de philosophie et de théologie, entretient de doctes conversations. Il faut dire qu’après des études en histoire de l’art à la Sorbonne – d’où la naissance de François-Marc à Paris –, le père, Maurice, est devenu un critique respecté, l’un des pionniers de la profession au Québec, et « sans doute celui qui a révélé Borduas », assure son fils. Homme de filiation, François-Marc Gagnon? En tout cas son parcours, mâtiné de théologie et d’histoire de l’art avec, à la clé, un doctorat (sur le peintre Jean Dubuffet) délivré par la Sorbonne, semble fortement imprégné des sceaux maternel et paternel.

Même si, chez les Gagnon, l’« art vivant » est indissociable de la vie de la maisonnée, le François-Marc de 18 ans opte pour les ordres. Parmi les Dominicains – une longue parenthèse de douze ans –, celui qui tantôt ne jurera que par les Automatistes et la modernité se rêve en version canadienne de Marie-Alain Couturier (1897-1954), ce dominicain français devenu, dans l’après-guerre, l’un des principaux acteurs du renouveau de l’art sacré. Se situant sur une ligne qui unit le père Couturier, maître à penser ardent pourfendeur de l’académisme et de la mièvrerie, et Borduas, dont il est unanimement reconnu comme l’un des grands experts, François-Marc Gagnon témoigne d’une belle constance. En somme même s’il étudie la théologie et la philosophie, même s’il vit la majeure partie des années 1950 et le début des années 1960, une période d’effervescence culturelle, quelque peu en retrait du monde, le futur historien d’art n’a pas renié la modernité, entêtant legs paternel. Bien au contraire!

Au début des années 1960, l’École des beaux-arts de Montréal se cherche un professeur de philosophie. C’est ici que pour François-Marc Gagnon, la vie dominicaine s’arrête. Il épouse une artiste d’origine israélienne, qu’aujourd’hui encore il appelle « ma belle Pnina ». Couple parfaitement complémentaire : pendant que l’une peint et fait sa carrière d’artiste, l’autre écrit, et s’investit dans l’enseignement. Ce pan de son existence se poursuivra officiellement jusqu’en 2000, année où il prend sa retraite de l’Université de Montréal, 34 ans après son entrée au Département d’histoire de l’art. À l’époque, le directeur de ce département naissant cherche un professeur d’art canadien. Encore aujourd’hui, François-Marc Gagnon se plaît à raconter l’anecdote de son engagement, et surtout la phrase qui « a un peu scellé mon destin », dit-il. Pas encore de doctorat, mais une expérience en enseignement, et une qualité décisive : « Gagnon, vous êtes Canadien, vous ferez l’art canadien. »

Vaste mandat : l’art canadien commence à l’époque de la Nouvelle-France, s’appuie sur les héritages français et anglais… Le professeur s’en acquitte avec compétence, et même avec fougue. « Donner un cours, c’est faire un spectacle qui dure trois heures; or je me suis toujours plu à performer devant un auditoire », dit François-Marc Gagnon. « Spectacles » sûrement captivants, car l’Université lui décerne un prix d’excellence en enseignement à deux reprises, en 1990 et 1994. Ce vulgarisateur-né qui a « toujours accordé beaucoup d’importance à la communication » utilisera aussi la télévision, qui est « un formidable instrument pour l’analyse des tableaux ». Ses cours Introduction à la peinture moderne et Introduction à la peinture moderne au Québec, d’abord diffusés à la Télé-université en 1989 et 1991, renaîtront ensuite sur Canal Savoir pendant une bonne décennie et toucheront toutes sortes de publics.

Élevé suivant le principe (paternel) que « l’art moderne est un combat », théorique casseur des « statues de plâtre des églises » en ce qui concerne l’art sacré, François-Marc Gagnon s’intéresse néanmoins, pour commencer, à l’art pictural de la Nouvelle-France. Cette passion première, et indéfectible, l’amènera à proposer une nouvelle contextualisation, une nouvelle appréciation, plus critique et plus large, des œuvres peintes, dessinées et gravées aux xvie et xviie siècles. C’est ainsi que l’historien d’art est revenu sur « un terrain que Gérard Morisset avait laissé un peu en friche » et a révélé des œuvres qui pouvaient alors prendre leur place de plein droit au sein du patrimoine culturel québécois.

En 1972, François-Marc Gagnon publie chez Bellarmin le premier de ses trois maîtres livres. Il s’agit de La Conversion par l’image : Un aspect de la mission des Jésuites auprès des Indiens du Canada au xviie siècle. Cet ouvrage, précurseur pour l’époque en ce qu’il repose sur une approche à la fois anthropologique et historique, constitue un regard inédit sur l’usage des œuvres en Nouvelle-France en même temps qu’un éclairage fort instructif sur le courant méconnu de la peinture missionnaire qui fut notamment « un moyen extrêmement puissant de déstabilisation de la culture amérindienne ». Au fait parmi les quelques centaines d’articles publiés dans plusieurs revues (par exemple Annales d’histoire de l’art canadien et Vie des arts, pour nommer seulement les plus « accessibles ») et les autres ouvrages, on croisera souvent la figure de l’Amérindien telle que représentée par les Blancs.

Lorsqu’on lui confie l’enseignement de l’art canadien, François-Marc Gagnon juge impératif de privilégier les artistes contemporains, afin de « produire un discours d’appui solide pour l’art moderne ». Ce sera le début d’une longue fréquentation de Borduas, qui fait l’objet du deuxième maître livre de l’historien d’art. Paul-Émile Borduas (1905-1960) : Biographie critique et analyse de l’œuvre (Fides), auquel son auteur aura consacré pas moins d’une douzaine d’années, sera couronné du Prix du Gouverneur général en 1978. C’est tout naturellement à lui que pensera le Musée des beaux-arts de Montréal comme commissaire de l’importante rétrospective consacrée à Borduas en 1988. Une traduction anglaise de cette grande biographie est prévue au programme de McGill-Queen’s University Press, traduction qui sera nécessairement précédée d’un imposant travail d’actualisation.

À l’égard de Chronique du mouvement automatiste québécois, 1941-1954 (Lanctôt éditeur), une somme qui compte son bon millier de pages, François-Marc Gagnon entretient un sentiment particulier, en raison du prix Raymond-Klibansky décerné en 1999. Le prestigieux prix, qui immortalise la mémoire du philosophe humaniste du même nom, vise à récompenser les meilleurs livres francophone et anglophone de l’année dans le domaine des sciences humaines.

Si François-Marc Gagnon a pris sa retraite en 2000, c’est seulement une façon de parler! Depuis lors, il dirige l’Institut de recherche en art canadien Gail et Stephen A. Jarilowsky, basé à l’Université Concordia qui diffuse aussi ses cours en ligne. Depuis le mitan des années 2000, il donne des séries de conférences grand public – très courues! – au Musée des beaux-arts de Montréal. Et c’est sans compter les projets longtemps différés qui se concrétiseront enfin. L’un concerne un drôle d’énergumène, le peintre Jean Berger, plus connu pour ses démêlés judiciaires dans le Montréal de 1700 que pour son coup de pinceau. Un autre porte sur le Codex canadiensis, un recueil d’illustrations de la flore, de la faune et des premières nations du Nouveau Monde attribué au jésuite Louis Nicolas, aussi auteur d’Histoire naturelle des Indes occidentales. François-Marc Gagnon s’emploie à réunir les deux manuscrits, jusqu’ici conservés dans des institutions muséales différentes : à Tulsa (Oklahoma) et à Paris. « Ce sont là des manuscrits d’un grand intérêt ethnographique », s’emballe l’historien d’art.

Après avoir formé des nuées d’étudiants, voire de disciples, François-Marc Gagnon a trouvé une relève directe, pour ainsi dire : sa propre fille. Les Gagnon ne forment peut-être pas encore une dynastie d’historiens d’art, mais une lignée, ça oui!

Information complémentaire

Date de remise du prix :
9 novembre 2010

Membres du jury :
Sylvie Dufresne (présidente)
Dominique Lalande
Gaétane Verna

Crédit photo :
  • Rémy Boily
Crédit vidéo :
Production : Sylvain Caron Productions Inc
Réalisation : Sylvain Caron
Coordinatrice de production : Nathalie Genest
Caméra et direction photo : Jacques Desharnais
Prise de son : Serge Bouvier et Jean-François Paradis
Maquillage : Anne Poulin
Montage : Sylvain Caron
Mixage sonore : Luc Gauthier, Studio SonG
Musique originale : Christine Boillat
Musiciens : André Bilodeau, Christine Boillat, David Champoux et Daniel Marcoux
Entrevue : Pascale Navarro
Lieu du tournage : Télé-Québec
Texte :
  • Francine Bordeleau