John Heward, lauréate

Naissance le 31 juillet 1934 à Montréal, décès le 6 novembre 2018 à 

Entrevue

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Biographie

À la fois peintre, sculpteur, performeur et virtuose de la batterie, John Heward s’impose au Québec, depuis plus de quarante ans, comme un acteur de premier plan, tant sur la scène des arts visuels que dans le domaine de la musique improvisée, plus particulièrement, du free-jazz. Il fait étroitement partie de cette génération d’artistes exceptionnels qui, dès les années soixante, début soixante-dix, ont largement contribué à redéfinir l’œuvre d’art à travers ses modes de représentation et de réception. À cet égard, John Heward emprunte très tôt dans sa pratique une voie qui le distinguera toujours. À travers les formes librement esquissées et les traces qu’il impose à la matière brute (vinyle, rayonne, toile, papier, bronze, acier ou aluminium), il accomplit, depuis toutes ces années, un œuvre de rigueur, sans concession aucune à la complaisance, constamment tributaire de sa volonté fondamentale d’éprouver les limites du conscient et de l’inconscient, et ce, sous autant de formes d’expression variées s’inscrivant toutes dans un même et continuel processus de mutation.

Né à Montréal en 1934, John Heward évolue au sein d’une famille où l’art, plus particulièrement la peinture, interagit au cœur des activités quotidiennes. Se rendant régulièrement à la maison de ses grands-parents, il y visite à loisir l’atelier de sa tante Prudence Heward, membre fondatrice du Canadian Group of Painters, un lieu fréquenté par des artistes renommés tels que Lawren Harris, A.Y. Jackson, Ann Savage et le peintre abstrait Gordon Webber. Ayant acquis, par la suite, une formation universitaire en histoire et en littérature, John Heward s’installe à Londres de 1957 à 1963, où il travaille à titre d’éditeur chez Penguin Books. De retour à Montréal, il occupe différents emplois et il entame parallèlement sa carrière en art, s’engageant dans une démarche singulière, du domaine de l’expérimentation, à la limite de la figuration et de l’abstraction, et qui d’emblée transgresse les genres et les pratiques, défiant l’ordre et la classification.

Qu’il s’agisse de peinture, de sculpture, de dessin ou de photographie de performance, l’art spontané, direct et profondément humaniste de John Heward souscrit manifestement à un besoin fondamental de communication, d’échange entre les êtres par l’intermédiaire de la forme signée, de celle dissimulée dans les replis de la matière accrochée, taquée au mur, suspendue ou déposée pêle-mêle au sol, du tracé, de la manipulation, de la tache et du geste, un peu à la manière dont cette nécessité s’est manifestée à l’origine, dans les peintures pariétales de Lascaux. Cependant, que la forme nous apparaisse identifiable ou à tout le moins associable à un fragment de réalité, elle ne s’inscrit pas moins dans un rituel permanent de transformation tributaire de la qualité de l’expérience que l’œuvre commande au spectateur, suivant un mode de présentation variable, puisque très rarement figé dans le temps et l’espace.

Elle n’est pas/elle est. Tel est le leitmotiv dualiste qui sous-tend l’ensemble de cette production. Et, en ce sens, une large part des titres des œuvres de Heward expriment ce principe dichotomique, négation/affirmation, alors que l’appellation Sans titre s’y trouve le plus souvent associée à un terme potentiellement évocateur ou emprunté au vocabulaire formel d’usage, comme pour en nier le sens et ramener l’essentiel du propos à l’expérience de l’œuvre elle-même : Sans titre (structure de paysage), Sans titre (triangle), Sans titre (marge), Sans titre (en formation), Sans titre (autoportrait), Sans titre (abstraction), etc.

En 1976 et 1977, John Heward réalise, en collaboration avec Alex Neumann, deux suites de photographies le présentant dans des rapports formels associatifs d’abord avec sa sculpture, puis avec sa peinture, soulignant de ce fait la nature performative de son travail. En posant ainsi son propre corps en référence à l’objet sculpté ou peint, l’artiste met clairement en exergue le caractère symbiotique de la relation qu’il entretient avec l’objet créé.

John Heward conserve aussi un lien étroit avec le domaine littéraire, et plus particulièrement avec le livre en tant qu’outil privilégié de transmission de la réflexion et de la création. Il produit notamment deux livres d’artiste, instructions (1987) et on (2009). Mais encore, il se réapproprie en toute légitimité l’objet livresque (catalogues d’exposition ou monographies qui lui sont consacrés), lorsqu’il le scelle à l’aide d’attaches ou d’agrafes, le transmuant en un support justifiant de nouvelles interventions de sa part. Ce faisant, Heward soustrait le document à l’emprise du temps. La notion de repentir n’existe pas dans sa pratique. Ici, comme dans sa peinture, l’objet « re-cyclé » redevient en quelque sorte la sentence initiale d’un propos en constante réaffirmation.

Ceci dit, John Heward improvise à l’essentiel. Dans le catalogue de l’exposition organisée en 2008 à Québec, Éric Lewis affirme que « La peinture de John Heward et sa pratique musicale sont extrêmement complémentaires, explorant toutes deux un même territoire artistique. Heward a choisi de poursuivre une seule vision artistique à travers deux médiums fort différents. En fait, il a choisi d’improviser – c’est-à-dire de puiser dans le potentiel de l’improvisation à la fois comme méthode et comme fin – dans ces deux médiums distincts ». Reconnu internationalement dans le cercle du free-jazz comme un percussionniste émérite, John Heward a participé à plus de 200 concerts publics, ici et à l’étranger, de même qu’à une douzaine d’enregistrements.

Représenté aujourd’hui par la Galerie Roger Bellemare à Montréal, John Heward a à son actif plus d’une quarantaine d’expositions individuelles, notamment à Paris, Londres, Atlanta, Chicago, New York, San Diego, Toronto et Montréal. Il a aussi exposé en duo à plusieurs reprises avec sa conjointe, l’artiste Sylvia Safdie, entre autres à New York, Copenhague et Beijing. Parmi les principales expositions collectives auxquelles il a participé, mentionnons Traffic : Conceptual Art in Canada c. 1965 to 1980 (2010-2012), Québec/New York (2001), Peinture, Peinture (1998), La Biennale de Montréal (1998) et Stations (1987).

Les œuvres de John Heward se trouvent aujourd’hui dans de nombreuses collections privées et publiques à travers le Québec et le Canada. C’est au Musée national des beaux-arts du Québec que l’on conserve le plus important corpus de ses œuvres, soit plus d’une centaine, à la faveur d’un généreux projet de donation de la part de l’artiste. C’est d’ailleurs dans cette foulée qu’en 2008 le Musée national organise et présente John Heward. Un parcours/Une collection, la plus grande exposition à caractère rétrospectif jamais consacrée à l’œuvre de l’artiste.

Le caractère singulier, voire avant-gardiste, de sa démarche, de même que la cohérence et la diversité de son activité créatrice font que John Heward occupe une place unique dans notre histoire de l’art contemporain. En lui remettant le prix Paul-Émile-Borduas, la société québécoise reconnaît la qualité et la profondeur de son œuvre qui demeure, dans l’actualité des arts visuels, une inspiration et une référence.

Information complémentaire

Date de remise du prix :
13 novembre 2012

Membres du jury :
Lisanne Nadeau (présidente)
Pierre Bourgault
Linda Covit
René Derouin
Denise Goyer-Bonneau

Crédit photo :
  • Rémy Boily
Crédit vidéo :
Production : Sylvain Caron Productions Inc.
Réalisation : Sylvain Caron
Coordinatrice de production : Lynda Malo
Caméra et direction photo : Mathieu Harrisson
Caméra : Hugo Ferland-Dionne
Maquillage : Hélène-Manon Poudrette, Sylvie Charland
Montage : Sylvain Caron
Infographie et montage : Mathieu Harrisson
Mixage sonore : Studio Song
Musique originale : Christine Boillat
Musiciens : André Bilodeau, Christine Boillat, David Champoux et Daniel Marcoux
Entrevues : Christian St-Pierre
Texte :
  • Michel Martin