Esteban Chornet ne se prend jamais au sérieux. Préférant
  accorder le crédit de ses réussites à ses proches, l’ingénieur
  entrepreneur parle de lui simplement, avec un sourire aux lèvres, comme
  si chacune de ses actions n’était que le fruit de la chance ou
  de la conjoncture. Pourtant, ce spécialiste du génie chimique
  vert, notion qui englobe la conversion de la biomasse en bioénergie
  (un des vecteurs des énergies renouvelables) et en produits chimiques
  verts, a su conjuguer avec un talent rare des carrières de chercheur
  universitaire hors pair, de professeur très apprécié et
d’entrepreneur prospère. 
 La source de la grande vitalité d’Esteban Chornet se trouve
  peut-être à Majorque,
  sa ville natale. Après la guerre civile espagnole (1936-1939) et sous
  les premières années de la dictature, la vie est dure dans la
  plus grande île des Baléares. Pour subvenir aux besoins de la
  famille, le père d’Esteban Chornet exploite deux scieries,
  dans une desquelles il génère de l’électricité avec
  le gaz produit à partir des résidus de bois. Cette électricité,
  outre qu’elle est utilisée pour les opérations de la scierie,
  sert aussi à faciliter la vie de quelques maisons voisines. L’expérience
  marque Esteban Chornet qui, plus tard, deviendra l’un des meilleurs
  spécialistes
  mondiaux de ce type de procédé, la gazéification. À l’école,
  le garçon est fort en maths et en langues. Après l’Université polytechnique
  de Barcelone, où il obtient son diplôme de génie industriel
  en 1966, Esteban Chornet franchit l’Atlantique en compagnie de sa conjointe
  Mercedes et s’inscrit à des études de troisième cycle à l’Université Lehigh, en Pennsylvanie. C’est
  là que naît leur premier fils, Nicolas, lui aussi devenu ingénieur chimiste. 
 Lorsque les Chornet découvrent le Québec en 1970, c’est
  le coup de foudre. Bernard Coupal, lauréat du prix Lionel-Boulet
  en 2000, offre à l’ingénieur catalan un poste de professeur
  au Département de génie chimique de l’Université de
  Sherbrooke qui vient d’être créé. Le sujet central
  du groupe dirigé par Coupal – la valorisation de la tourbe – attire
  Esteban Chornet autant que la jeunesse et le dynamisme de l’institution.
  La famille s’installe définitivement à Sherbrooke où naissent
  deux autres fils : Vincent (finance et commerce international) et Michel (ingénieur chimiste). 
 Alors que le premier choc pétrolier de 1973 se prépare, Esteban Chornet
  mesure l’ampleur de notre dépendance à l’égard
  d’une ressource qui, inévitablement, finira par s’épuiser.
  Sans une solution de rechange durable au pétrole et au gaz naturel,
  affirme-t-il, le progrès social et économique de la planète
  est compromis. À l’image de son père, l’ingénieur
  cherche alors à mettre au point des procédés pour produire
  de l’énergie à partir de la biomasse, particulièrement
  abondante au Québec. De la tourbe, il passe aux résidus de l’industrie
  forestière, puis aux déchets urbains, « vraie ressource »,
  selon ses propres termes. Soucieux d’asseoir la mise au point de ces
  techniques sur une base scientifique solide, il définit les concepts
  et élabore, avec ses étudiants et collaborateurs, des modèles
  théoriques et des preuves de concept en laboratoire et à l’échelle
  pilote. Au cours des années 70 et 80, il jette les bases fondamentales
  de plusieurs technologies, telles que la pyrolyse sous vide, la gazéification
  et le fractionnement eau-vapeur, qui aujourd’hui se trouvent en plein
développement industriel.
 Les travaux d’Esteban Chornet lui valent rapidement une reconnaissance
  internationale. Auteur de plus de 180 publications scientifiques, de 3 ouvrages à titre
  de coauteur ou de coéditeur, de 15 chapitres de livres et de nombreuses
  conférences, Esteban Chornet est titulaire de 21 brevets.
  En 1983, il devient le premier ingénieur chimiste à recevoir
  la prestigieuse bourse Steacie du Conseil de recherches en sciences naturelles
  et génie
  du Canada. Depuis 1993, il est également professeur invité affilié au
  National Renewable Energy Laboratory, au Colorado, où il participe à l’élaboration
  de nouvelles stratégies pour la production d’hydrogène
  par voie de la biomasse. Malgré ses succès en recherche, le professeur
  ne néglige pas ses autres responsabilités. Il prend part à la
  vie de l’université, participe à toutes sortes de comités
  internes, enseigne à tous les cycles et est appelé à siéger à des
  comités et conseils provinciaux, fédéraux et internationaux.
  Considéré comme un excellent pédagogue, il aime à partager
  son expérience avec les jeunes du premier cycle et agit en mentor auprès
des étudiants diplômés.
 Au tournant des années 90, Esteban Chornet est un professeur
  admiré et
  un chercheur accompli. Cependant, l’aventure industrielle le tente. Certes,
  il est depuis toujours proche du secteur privé, surtout comme consultant.
  De 1979 à 1983, il est ainsi directeur technique de la compagnie torontoise
  Sandwell-Beak Research Group. L’ingénieur siège aussi au
  conseil d’administration de plusieurs compagnies, comme ITEC Mineral,
  spécialisée dans le traitement des résidus miniers. Fera-t-il
  un bon entrepreneur? Comme en toutes choses, Esteban Chornet consulte d’abord
  ses proches. Sans leurs encouragements et leur soutien, il ne se serait pas
  lancé. À l’approche de la cinquantaine, il mise aussi sur
  une santé de fer, conservée par des années de pratique
  sportive régulière. En mars 1992, Esteban Chornet franchit
  le pas et fonde, avec l’aide de l’Université de Sherbrooke,
  du Centre québécois de valorisation de la biomasse et de ses
  plus proches collaborateurs, Kemestrie, entreprise chargée du transfert
  industriel des technologies mises au point dans son laboratoire, et ce, tout
  en continuant d’exercer à temps plein ses fonctions de professeur.
  Son esprit d’initiative et sa pugnacité sont vite récompensés.
  De Kemestrie naissent trois sociétés, soit Kemfor, Gelkem et
  Enerkem : cette dernière deviendra la société étoile
  du groupe. En 2003, grâce à une licence accordée par Enerkem,
  la première usine au monde produisant de l’électricité à partir
  de déchets plastiques ouvre ses portes en Espagne. D’autres projets
  de gazéification de déchets urbains sont en cours de réalisation
  en Europe et en Amérique du Nord. Kemestrie est aussi actionnaire de
Bioxel, qui produit des médicaments contre le cancer. 
 Aujourd’hui, Esteban Chornet dirige Enerkem, avec l’aide précieuse
  de son fils Vincent, vice-président de l’entreprise, et il préside
  le conseil d’administration de Kemestrie. Il siège aussi au conseil
  scientifique du Fonds québécois de la recherche sur la nature
  et les technologies (FQRNT). À l’aube d’une retraite universitaire
  bien méritée, l’ingénieur se donne encore quelques
  années pour consolider ses activités industrielles en mettant
  l’accent sur le créneau de l’« énergie-environnement »,
  convergence essentielle pour assurer le développement durable de la
  planète et où ses compagnies sont en train d’assumer le
  rôle de leader à l’échelle internationale.
 
								 
								 
								