Fernand Dansereau, lauréate

Naissance le 5 avril 1928 à Montréal, décès le à 

Entrevue

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Biographie

Il y a exactement cinquante ans Fernand Dansereau commençait sa carrière dans le cinéma. Cinquante ans de cinéma québécois où sa présence a été constante, et que vient souligner le prix Albert-Tessier. « J’espère que ce prix n’est pas une pierre tombale », dit en riant cet auteur prolifique, qui fut tout à tour animateur-reporter, scénariste, cinéaste et producteur, travaillant non seulement pour le cinéma mais aussi pour la télévision. « J’ai encore plein de projets », ajoute-t-il. En effet, il souhaite donner une suite à une mini-fiction produite en 1966, Ça n’est pas le temps des romans, qu’il considère comme sa plus belle réalisation, et qui traçait le portrait d’une femme de 35 ans qui veut concrétiser ses fantasmes afin d’échapper aux affres du mariage et de la famille. L’Heure de la brunante est cette suite où nous retrouvons le même personnage quarante ans plus tard. La vieille dame souffre de la maladie d’Alzheimer et désire faire un dernier tour de piste avant sa mort.

Mais auparavant, il travaillera avec trois jeunes cinéastes à un documentaire sur la mondialisation. En pilotant ce film, il retrouve sa situation d’il y a presque cinq décennies lorsqu’il était producteur à l’Office national du film (ONF), préoccupé actuellement par la relève comme autrefois il soutenait les projets de jeunes hommes qui se nommaient Claude Jutra, Gilles Groulx, Pierre Perrault, et qui en étaient à leurs premières armes.

« Je suis un cinéaste de relations », quand on lui demande de se définir. Cet homme profondément engagé n’a jamais abandonné sa défense des travailleurs et des gens ordinaires. Son engagement a caractérisé son entrée en journalisme mais aussi sa sortie! Car c’est en refusant de franchir les piquets de grève des typographes du Devoir que Dansereau se voit signifier son congédiement du quotidien dirigé alors par Gérard Filion. Le lendemain, il reçoit un coup de fil d’un dénommé Pierre Juneau, qu’il ne connaît pas, qui l’invite à devenir reporter pour les séries que l’ONF produisait pour la télévision de Radio-Canada. Envoyé immédiatement dans l’Ouest canadien, il revient déçu de son travail. « Je trouvais extrêmement mauvais ce qui avait été fait », avoue-t-il. Il veut retourner au journalisme quand Guy Glover, producteur, lui propose de scénariser une fiction sur l’éducation syndicale, un monde qu’il connaît très bien. Ce sera Alfred J., deux courts métrages qui décrivent avec justesse le syndicalisme dans un milieu populaire.

En 1958, l’institution fédérale déménage d’Ottawa à Montréal et Fernand Dansereau fera partie de la cellule de créateurs qui contribueront à la naissance et à l’affirmation de l’équipe française de l’ONF. Jusqu’en 1960, il scénarise ou réalise plusieurs films de fiction et de documentaire pour la série « Panoramique ». De 1960 à 1964, il est producteur exécutif, puis directeur adjoint de la production, et sous sa férule naîtront quelques-uns des plus beaux spécimens du cinéma direct québécois : GoldenGloves, de Gilles Groulx, en 1961, Les Bûcherons de la Manouane, d’Arthur Lamothe, en 1962, et, un an plus tard, Pour la suite du monde, de Pierre Perrault et Michel Brault. On peut affirmer que c’est à cause d’un producteur rassembleur et visionnaire comme lui qu’on reconnaît dans l’aventure du cinéma québécois l’aventure sociale et politique du Québec, dans la manière qu’ont eue les cinéastes d’utiliser les outils du cinéma pour définir l’identité d’un peuple.

Cette identité, on peut dire qu’il l’a recherchée dans une autre aventure, celle du long métrage de fiction, qui existait à peine à cette époque. En 1965, il redevient réalisateur avec un projet considéré comme grandiose, un film historique, avec un comédien français, Alain Cuny, et un budget que n’avait jamais eu un film québécois : 485 000 $! C’est Astataïon ou le Festin des morts, qui ne connaîtra que quelques projections publiques et qui, amputé de dix-sept minutes, devient Le Festin des morts. Réflexion sur les pouvoirs de la civilisation (un père jésuite doute du bien-fondé de sa mission et sa foi est mise en crise), le film est alors remarqué pour son esthétisme puissant et évocateur.

Mais le cinéaste n’abandonne pas pour autant ses préoccupations sociales, qui se refléteront avec une absolue efficacité dans St-Jérôme, en 1968. Exceptionnelle entreprise que ce long métrage d’enquête, qui comprend également vingt-sept films satellites constitués d’interviews accordées durant le tournage. De cet incontournable de notre cinématographie, Fernand Dansereau parle encore avec émotion. Bâtie sur une même série de questions posées à divers groupes sociaux de la ville du curé Labelle, l’enquête, qui a pris neuf mois de préparation, neuf mois de tournage et neuf mois de montage, débouche sur un nouveau contrat social, fidèle en cela aux idéaux de la Révolution tranquille. Suit en 1969 Tout l’temps, tout l’temps, tout l’temps…, qui porte sur la pauvreté, l’aliénation et l’oppression de la classe ouvrière. La méthode de production est unique en son genre, qui tient du cinéma direct et du sociodrame, parce qu’il est scénarisé et interprété par un groupe de treize citoyens de l’Est de Montréal.

En 1970, il quitte le public pour le privé et participe à la fondation de In-Média, une société qui offre des sessions d’intervention en animation culturelle. L’année suivante, il part à la rencontre des gens du pays et fait l’inventaire des ressources humaines que recèle le Québec en réalisant pour la Société Saint-Jean-Baptiste et la Société nationale des Québécois Faut aller parmi l’monde pour le savoir. Il y traduit ce que vit profondément le peuple québécois en lui renvoyant une image chaleureuse et affectueuse de ce qu’il est. En donnant la parole aux citoyens, il leur fait également prendre conscience de la situation politique et leur rappelle que les combats sont collectifs.

Avant de retourner au long métrage de fiction en 1978, avec Thetford au milieu denotre vie, un film qui met en scène un couple du milieu des mines et auquel il reste fortement attaché, Dansereau travaille, de 1973 à 1978, à la télévision, en particulier pour une série documentaire sur la culture populaire et le patrimoine intitulée « Un pays, un goût, une manière… ». La télévision l’accaparera de nouveau de 1984 à 2000. Il écrira, entre autres, un téléroman qui remportera beaucoup de succès, Le Parc des Braves. Tout en étant fidèle aux événements de l’époque, il y transcrit sa perception qu’il avait enfant de la Deuxième Guerre mondiale. Lui qui a cherché constamment à réinventer le langage du cinéma pour le mettre à la portée de tous est enchanté de son expérience. « La télévision est extrêmement gratifiante, non seulement parce qu’on y est bien payé, mais parce que la réaction est instantanée et qu’on peut entrer en interaction avec l’auditoire. C’est ainsi que Tancrède, interprété par Gérard Poirier, est devenu plus présent dans la suite du téléroman à cause du jeu du comédien », confie-t-il.

Fernand Dansereau est maintenant heureux de retourner au cinéma avec son projet L’Heure de la brunante, surtout en cette période de vaches grasses pour le cinéma québécois. En trois décennies, celui-ci s’est structuré et consolidé. Mais pour cet homme qui a cherché à dialoguer constamment avec le spectateur à travers des oeuvres considérées comme moyens de communication et de conscientisation, notre cinéma a surtout touché son public, comme le prouvent C.R.A.Z.Y. et La Neuvaine, qui se révèlent de vrais films populaires, c’est-à-dire des fictions qui rendent visibles les symboles d’un peuple et font corps avec les mythes et la réalité d’un pays. N’est-ce pas ce qu’a toujours voulu faire depuis cinquante ans ce cinéaste du partage et du questionnement?

Information complémentaire

Date de remise du prix :
8 novembre 2005

Membres du jury :
Lucille Veilleux (présidente)
Bernard Émond
Monique Mercure
Claude Racine

Crédit photo :
  • Denis Chalifour
Crédit vidéo :
Production : Éric Pfalzgraf / Studio du Roi
Réalisation : Mario Munger / Éric Pfalzgraf
Caméra, direction photo : Mario Munger
Son : Éric Pfalzgraf
Montage : David Paré / Éric Pfalzgraf
Infographie : Daniel Boulanger
Musique originale : Alexis Le May
Musiciens : Katia Durette, Yana Ouellet, Stéphane Fontaine, Annie Morier, Caroline Béchard, Suzanne Villeneuve, Benoît Cormier, Jean Robitaille, André Villeneuve, Daniel Tardif, Alexis Le May, Éric Pfalzgraf.
Annonceur : Gilles Théberge
Enregistrement de la musique et mixage : Éric Pfalzgraf
Photos supplémentaires, animations et extrait de film pour :
M. Cyril Simard : Suzanne O’neill, Éric Saint-Pierre, Guy Rainville, François Maltais;
Mme Francine Décary : Héma-Québec;
M. Henry Buijs : ABB;
M. Fernand Dansereau : ONF.
Texte :
  • André Roy