Marc Angenot, lauréate

Analyste du discours social

Naissance le 21 décembre 1941 à Bruxelles, Belgique, décès le à 

Entrevue

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Biographie

D’une érudition époustouflante, Marc Angenot est professeur de littérature française à l’Université McGill depuis près de 40 ans. Auteur prolifique d’une vingtaine d’ouvrages et coauteur d’une dizaine d’autres, il a construit une oeuvre reconnue pour son originalité et sa profondeur théorique. Diffusée à l’échelle internationale, elle sert aujourd’hui à de nombreux chercheurs partout au monde et fait de lui l’un des penseurs les plus éminents en sciences humaines au Québec.

Souvent comparé à des intellectuels de haute volée comme Deleuze, Derrida ou Foucault, Marc Angenot maîtrise aussi l’art de la discussion avec un rare raffinement et un plaisir manifeste. L’écouter parler est un pur bonheur. On se demande d’ailleurs comment une personne peut absorber, à l’intérieur d’une vie, autant de connaissances dans des domaines aussi variés que la théorie littéraire, la linguistique, la philosophie politique ou la sociologie de la littérature. Pendant toute sa carrière, Marc Angenot a choisi d’emprunter de multiples voies et de remettre en question constamment les limites de la littérature.

D’ailleurs, les ouvrages de Marc Angenot font souvent grand bruit. Son essai Les idéologies du ressentiment, publié en 1996 et révélant la logique argumentative derrière les discours nationalistes, soulève alors d’importants débats médiatiques. En fait, ses propos offrent une perspective critique souvent appréciée pour sa capacité à plonger autant dans l’actualité que dans un passé plus lointain qu’il tente d’éclairer, comme dans son récent essai, D’où venons-nous, où allons-nous? Paru en 2001, cet ouvrage interroge avec pertinence les changements culturels et politiques en Occident depuis la chute du mur de Berlin.

Cependant, la plus grande contribution intellectuelle de Marc Angenot reste indéniablement son analyse du discours social. Pendant les années 80, il a accompli ce que personne n’avait fait encore : lire tout ce qui s’est imprimé en France en 1889. Des milliers d’archives ont été dépouillées. « C’est une année charnière, explique-t-il. Elle marque le centenaire de la Révolution française, l’année de l’Exposition universelle et l’inauguration de la tour Eiffel. » L’ambiance de fin de siècle et la crise de la modernité y roulaient à plein : « Je voulais comprendre ce que la société française se racontait à elle-même pendant cette période. » Le résultat de ce travail colossal, étalé sur presque dix ans, s’avère phénoménal : un ouvrage de plus de 1 000 pages intitulé Mil huit cent quatre-vingt-neuf : un état du discours social et quatre autres livres parus en Europe portant sur les représentations du sexe, des Juifs et du centenaire de la Révolution.

Cette synthèse représente un véritable exploit non seulement pour les chercheurs en sciences humaines, mais aussi pour quelqu’un qui, jeune, ne savait trop quelle orientation donner à sa vie professionnelle. D’origine belge, Marc Angenot n’est pas un élève surdoué au lycée. Il commence à se démarquer à l’université, sans toutefois sentir qu’il porte une oeuvre d’une telle envergure. « On peut avoir certains dons au départ, dit-il, mais c’est surtout une question de travail et de discipline. Et j’ai eu le privilège de goûter à toute la liberté nécessaire pour travailler sur des sujets de mon choix. »

En effet, le professeur Angenot arrive au Québec en 1967 alors que le milieu universitaire est en pleine effervescence. À 24 ans, il vient tout juste de soutenir une thèse, intitulée Rhétorique du surréalisme, en philosophie et lettres à l’Université libre de Bruxelles, thème qui déjà le situe dans un cadre inhabituel pour un littéraire. Pendant toute sa carrière, le professeur Angenot refusera de stratifier la grande et la petite cultures. Il se penche souvent sur des sujets considérés comme populaires, mais qu’il traite avec énormément de rigueur, comme si le décentrement qu’il pratique obligeait à prendre au sérieux toutes les formes d’expression culturelle.

Marc Angenot s’attache aussi avec ardeur à comprendre les grandes utopies des XIXe et XXe siècles. Au cours des années 90, il se consacre à des questions de philosophie politique. Il est d’ailleurs l’un des premiers spécialistes francophones de l’histoire des idéologies politiques et, particulièrement, de l’histoire du socialisme. Présentement, il est titulaire de la Chaire de recherche James McGill et travaille, en collaboration avec Régine Robin de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), à un nouveau projet d’envergure sur les représentations du XXe siècle. « Un sale siècle, affirme-t-il, perçu soit comme un trou noir dont il est impossible de comprendre le sens, soit comme un livre Guinness des records mondiaux marqués par la Shoah et une série d’autres massacres. »

Fidèle à lui-même, le professeur Angenot n’hésite pas à participer à des sociétés savantes aussi contrastées que l’Académie des lettres et des sciences humaines de la Société royale du Canada, dont il est vice-président, et l’Académie québécoise de pataphysique dont il est chandelier de plomb décoré de l’Ordre de la Grande Gidouille! Ce titre en apparence absurde est fort représentatif de cette « science des solutions imaginaires » fondée en France dans les années 50 autour de l’oeuvre d’Alfred Jarry. Quant à la sienne, elle continue d’être fréquemment commentée. En 2004, elle fait même l’objet d’un numéro spécial du prestigieux périodique Yale Journal of Criticism intitulé « Marc Angenot and the Scandals of History », dirigé par Robert F. Barsky de l’Université Vanderbilt aux États-Unis.

Aimant citer Aragon (« Rien n’est jamais acquis à l’homme, ni sa force, ni sa faiblesse »), le professeur Angenot a l’oeil d’un lynx et l’humour facile. Il parle de sa vie avec discrétion, mais aussi avec la même distance ironique qu’il a su appliquer au vaste corpus analysé au cours de sa carrière. Outre sa passion pour le travail intellectuel, Marc Angenot révèle avoir déjà été artisan et bédéiste à ses heures. Pendant une période de sa vie, il s’est amusé à confectionner des marionnettes en bois selon une vieille tradition wallonne et à écrire des bandes dessinées pour ses enfants.

Comme plusieurs écrivains, le professeur Angenot est un grand marcheur : « Cela me tient en état », dit-il. Sa définition du bonheur se résume facilement : voyager, rencontrer des gens, bavarder avec des amis. Ses nombreux séjours à l’étranger à titre de professeur invité, notamment au Brésil, en Argentine, en Israël, en France et en Belgique, ont laissé des traces et de précieux souvenirs. Pour lui, rien n’égale l’accueil reçu de collègues à l’autre bout du monde qui apprécient son travail et lui offrent la possibilité d’échanger davantage sur la façon dont les êtres humains donnent du sens à la réalité sociale. Voilà la grande question sur laquelle il a bâti une oeuvre considérable dont la richesse n’a pas fini d’être explorée.

Information complémentaire

Date de remise du prix :
8 novembre 2005

Membres du jury :
Pierre Martel, président
Carmen Lambert
Camille Limoges
Clément Moisan
Louise Vandelac

Crédit photo :
  • Denis Chalifour
Crédit vidéo :
Production : Éric Pfalzgraf / Studio du Roi
Réalisation : Mario Munger / Éric Pfalzgraf
Caméra, direction photo : Mario Munger
Son : Éric Pfalzgraf
Montage : David Paré / Éric Pfalzgraf
Infographie : Daniel Boulanger
Musique originale : Alexis Le May
Musiciens : Katia Durette, Yana Ouellet, Stéphane Fontaine, Annie Morier, Caroline Béchard, Suzanne Villeneuve, Benoît Cormier, Jean Robitaille, André Villeneuve, Daniel Tardif, Alexis Le May, Éric Pfalzgraf.
Annonceur : Gilles Théberge
Enregistrement de la musique et mixage : Éric Pfalzgraf
Photos supplémentaires, animations et extrait de film pour :
M. Cyril Simard : Suzanne O’neill, Éric Saint-Pierre, Guy Rainville, François Maltais;
Mme Francine Décary : Héma-Québec;
M. Henry Buijs : ABB;
M. Fernand Dansereau : ONF.