Paul Buissonneau, lauréate

Naissance le 24 décembre 1926 à Paris (France), décès le 30 novembre 2014 à Montréal

Biographie

Comment parler de lui sans utiliser de superlatifs ? Comment parler de lui sans émotion, sans faire appel aux souvenirs d’enfance, sans croire à la magie du théâtre ? Du petit Paul, né à Paris, au personnage hors du commun que tous les Québécois reconnaissent avec affection, il y a une multitude de personnages : ouvrier spécialisé en carrosserie, membre des Compagnons de la chanson, vendeur de disques et de pianos, comédien, metteur en scène, directeur de théâtre ambulant, fondateur de théâtre, amuseur, bousculeur, empêcheur de tourner en rond, provocateur et tendre Picolo, Paul Buissonneau.

Dernier-né d’une famille qui compte déjà trois garçons et une fille, arrivé le 24 décembre 1926, juste à temps pour participer à la chaleur d’un Noël modeste, Paul Buissonneau a traversé très jeune les épreuves qui font d’un enfant un adulte : perte du père, guerre et occupation de Paris, mort de la mère ; à 14 ans Paul Buissonneau travaille en atelier et se débrouille comme un grand avec ses frères et sa sœur.

L’enfant sensible ne saurait se contenter d’être un ouvrier rapide et compétent, il cherche ailleurs sa part de rêve, entre autres au patronage du quartier et dans le scoutisme. Le Théâtre des familles lui ouvre les portes d’un monde qu’il ne cessera de vouloir conquérir, et c’est là qu’il découvre avec ravissement le costumier où s’accumulent les objets les plus hétéroclites. Il a trouvé son moyen d’évasion, son bonheur, sa survie. Être sur les planches ou en coulisse, bricoler des décors et des costumes, jouer, séduire le public, Paul Buissonneau voudra tout expérimenter, tout apprendre. Celui qu’on croit un improvisateur de génie est un travailleur infatigable qui cache une formation solide, des études auprès de grands maîtres, dont Léon Chancerel, et une expérience de la scène qu’il ne doit pas seulement aux Compagnons de la chanson, auxquels il se joint en 1946.

Après quatre années de tournées, Paul Buissonneau quitte les Compagnons. Il arrive à Montréal au début des années cinquante et accepte de petits emplois avant de rencontrer sa chance. Un ami le présente à Claude Robillard, le directeur du Service des parcs de la Ville de Montréal, qui cherche quelqu’un pour diriger La Roulotte qui est déjà en construction. Voilà Paul Buissonneau fonctionnaire municipal. Le théâtre ambulant, qui devait permettre aux enfants de présenter de petits numéros, devient sous son impulsion un vrai théâtre et une pépinière. Les jeunes comédiens qui y font leurs classes portent des noms qui seront célèbres ; Yvon Deschamps, Marcel Sabourin, Clémence Desrochers, Robert Charlebois, Claude Jasmin… la liste peut s’allonger à l’infini. La Roulotte, se promenant de parc en parc, charmera petits et grands chaque été pendant 35 ans.

Paul Buissonneau ne sait pas s’arrêter. À la même époque, en 1956, naît Picolo, personnage enchanteur d’une émission hebdomadaire de la série La Boîte à Surprises. Picolo, c’est Buissonneau. Il écrit les textes, assure la mise en scène, incarne le personnage. Toujours en 1956, il crée la Compagnie du théâtre de Quat’Sous et participe au Festival national d’art dramatique en présentant Orion le tueur, qui remporte deux prix. L’année suivante, il monte La Tour Eiffel qui tue

Buissonneau, qui se définit comme un prolétaire, qui s’étonne et proteste quand on le qualifie d’artiste et de créateur, écrit des textes pour la télévision et le théâtre, met sur pied un centre dramatique dans l’ancien gymnase Campbell et multiplie les mises en scène. Il donne des cours de mime et d’expression corporelle et, conscient de ses responsabilités sociales, accepte avec une générosité qui le caractérise d’aider les groupes de théâtre qui le sollicitent. Son ingéniosité, sa facilité à recréer un monde à partir de quelques objets disparates le rendront célèbre, tout autant que sa manie de collectionner tout ce qu’il touche.

En 1965, cédant à l’insistance de son ami Yvon Deschamps, et découvrant au hasard d’une promenade une synagogue abandonnée, il fonde le Théâtre de Quat’Sous avec Claude Léveillée, Yvon Deschamps et Jean-Louis Millette. La grande aventure du petit théâtre commence, elle ne s’arrêtera plus. Paul Buissonneau, loin des théories et des traditions, s’impose de plus en plus comme un défricheur et un créateur au talent multiforme, comme l’un des moteurs de l’évolution du théâtre québécois. Celui que Jean-Claude Germain qualifie « d’homme carrefour, incontournable et inespéré comme un relais dans une tempête de neige » reste un allumeur qu’on salue avec reconnaissance.

« Il nous a enseigné la transposition théâtrale », dira Michel Tremblay. « Il a marqué l’expression théâtrale par la liberté folle qu’il accordait aux créateurs, par sa rigueur légendaire et par l’audace formelle dont il a fait preuve tout au long de sa carrière », ajoute Lorraine Pintal. Pour sa part, Lothaire Bluteau souligne cette qualité qui fait les grands maîtres : le respect du talent de l’autre : « Il m’a appris un métier, non pas pour que je marche dans ses traces, ni pour que je l’imite, mais pour que je sache ce que je veux et comment je le veux. »

Paul Buissonneau quitte le Théâtre de Quat’Sous en 1989 mais ne s’arrête pas pour autant. Cet homme, qui a à son actif plus de 125 mises en scène pour le théâtre et la télévision, qui a joué d’innombrables rôles, ne saurait prendre sa retraite ; il préfère suivre le conseil qu’il aime donner : « Ne comptez jamais sur rien, ne restez ni sur un échec, ni sur un succès. Commencez toujours autre chose, c’est la suite qui compte. » Il écrit son autobiographie, répond aux demandes qui lui arrivent de partout et continue à préparer des spectacles.

Paul Buissonneau, qui a fait la mise en scène du Barbier de Séville, production récompensée par un Emmy Award à New York, et qui a reçu le Prix du Gouverneur général pour les arts de la scène en 1998, accueille les honneurs avec modestie. Il se déclare immensément heureux, ému et reconnaissant envers ceux et celles qui tout au long de sa vie lui ont fait confiance, car dit-il : « Dans ma vie, les choses arrivent d’elles-mêmes, je reçois toujours des bienfaits. » Il oublie sans doute qu’à celui qui ne calcule pas, il est toujours beaucoup donné. Car Buissonneau ne calcule ni son temps, ni son imagination débridée, ni ses colères, ni son « infinie tendresse », ni son courage, ni sa ténacité. Il ne calcule pas ses rêves.

Pour Paul Buissonneau, avoir été choisi comme lauréat du prix Denise-Pelletier revêt une signification particulière car il garde le précieux souvenir d’une Denise Pelletier dithyrambique, déboulant en coulisse après la représentation de La tour Eiffel qui tue, les bras levés vers le ciel, le verbe haut, criant au génie et arrachant à son mari Basil Zarov ses boutons de manchettes à figures de masques de théâtre pour les offrir à un Buissonneau pour une fois complètement silencieux. Il recevait là son premier trophée.

Information complémentaire

Date de remise :
20 novembre 2001

Membres du jury :
Francine Bernier (présidente)
Alain Chartrand
Pierre MacDuff
Geneviève Soly

Crédit photo :
  • Marc-André Grenier
Texte :
  • Janette Biondi