La chronique dit de l’écrivain qu’il est né en 1929 à Asnières,
  en France, de parents belges, qu’il vit en Belgique au moment de la Seconde
  Guerre mondiale et qu’il revient à son lieu de naissance à la
  fin de celle-ci, pour ensuite émigrer au Québec en 1952. Ce qu’elle
  ne dit pas cependant, c’est que cette guerre sonne le glas d’une
  enfance plutôt heureuse, que Michel van Schendel retourne à Paris à l’âge
  de 17 ans comme on remonte à une source et que là, s’opère
  l’étonnante renaissance qui fera de lui l’homme, l’essayiste
  et le poète engagé qu’il est depuis, l’un des auteurs
  les plus singuliers de la littérature québécoise contemporaine.
  Il en résultera une œuvre poétique aussi riche qu’exigeante
  marquée par un constant défi aux règles des genres. « L’écriture
  de Michel van Schendel, écrit Louise Dupré, en est une de recherche
  formelle qui sonde les limites entre le poétique, le narratif et le
  réflexif, recherche où la vision du fragmentaire remet sans cesse
en cause la totalité. » 
 Avec Un temps éventuel, histoire d’un homme et de plusieurs,
  paru en 2002 en même temps que son reflet poétique Quand demeure,
  Michel van Schendel compose à plusieurs voix une autofiction qui
  remonte d’un
  pas erratique le parcours de sa mise au monde en tant qu’homme, essayiste
  et poète. « Il n’est pas possible, j’en ai l’intime
  conviction, écrit-il dans l’introduction, de conter les faits
  saillants ou anodins d’une vie, surtout la sienne, sans recourir aux
  procédés de la fiction. Celle-ci est le plus court chemin de
  la vérité. » De son enfance, l’auteur ne retiendra,
  pour le moment du moins, que quelques souvenirs : la mer et le jardin qu’il
  imagine à partir d’un prunier du Japon enserré de murs
  sous les cheminées d’usine, les fesses et les seins de sa tante
  dont il partage la chambre et surtout la maladie du printemps 1942 qui l’éveillera à l’inégalité que
  la guerre exacerbe entre riches et pauvres. À l’Université de
  Paris, il étudie le droit et les sciences économiques. Contrairement
  aux confrères qui regardent de haut le personnel d’entretien,
  il sympathise vite avec une femme de ménage de la cité universitaire.
  Bien qu’équivoque en ce qui le concerne, cette relation se développera
  en une amitié profonde empreinte d’une grande tendresse pour elle,
  mais aussi pour le couple d’ouvriers qu’ils forment, elle et son
  mari, et dont il dira qu’ils lui ont appris à vivre. « Et
  apprendre à vivre, c’est apprendre la solidarité. J’ai
  appris à vivre dans ce sens-là au contact d’ouvriers comme
  les Dohy et ensuite dans le combat politique. » Tout ce temps, il milite
  au sein du Parti communiste français où il dit avoir fait, quoiqu’on
en dise, l’apprentissage d’une très grande liberté. 
 C’est auprès d’amis peintres comme Louis Tournay et surtout Émile
  Hecq qu’il trouvera sa voie dans l’écriture. C’est
  avec eux, écrit-il, qu’il deviendra poète. « Et avec
  eux, parce qu’ils me montraient comment une forme apprend à résister,
  je prenais plaisir à oser parler d’une main qui s’émerveille à dresser
  les mots sur la page, de l’exercice auquel je commençais de livrer
  une lumière sur le monde. » Michel van Schendel reçoit
  de cette expérience fondatrice l’impulsion nécessaire au
  combat de toute une vie : démontrer le lien essentiel entre le travail
  intellectuel et le travail artistique. Se remémorant les jours sombres
  de la dépression, il dira : « L’écriture est une
  force, c’est une conscience, et c’est d’autant plus une conscience
  que c’est un art, c’est-à-dire l’invention d’une
  forme, et l’art… c’est la pensée vivante. » On
  peut comprendre alors ce que signifie pour lui la parution en 2001 de Poésie
  et politique. Mélanges offerts en hommage à Michel van Schendel  dans lequel des amis, des lecteurs, des collègues et des confrères
  s’unissent « autour d’un homme dont la voix rayonne depuis
  un demi-siècle d’histoire et d’amitié, d’un
  homme qui nous entoure de ses paroles les plus diverses, poétiques,
  politiques, critiques, théoriques, journalistiques, pédagogiques,
  confinant toutes à la poésie, à la circonstance du poème
  dont chaque détail se soucie de nous et embrasse le monde dans toute
son étendue. »
 Michel van Schendel ne choisit pas de s’installer au Québec.
  Les circonstances l’y obligent. Jamais il ne tentera de dissimuler l’amertume
  et la déception qui marquent ses premières années en sol
  québécois. Confiné à de petits travaux, il ne verra
  son sort s’améliorer qu’en 1955 à la faveur d’une
  série de chroniques pour la radio culturelle de la Société Radio-Canada
  (SRC) pour un réalisateur dénommé Hubert Aquin. Pendant
  plus de dix ans, son fougueux engagement culturel et social et l’étiquette
  de communiste qui lui est accolée l’obligeront à de fréquentes
  bifurcations professionnelles. Il sera tour à tour enseignant, journaliste,
  chroniqueur ou rédacteur – au journal Le Devoir, au Nouveau Journal, à la
  radio et à la télévision de Radio-Canada – traducteur
  au sein de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et
  le biculturalisme, et secrétaire de la Commission provinciale d’enquête
  sur l’urbanisme dite commission La Haye. Il donnera de nombreux articles
  aux revues Liberté, Cité libre, Parti pris et Socialisme, particulièrement à cette
  dernière revue dont il sera le directeur de 1968 à 1971. Assez
  curieusement, il sera l’un des premiers à s’intéresser
  de près à la littérature québécoise, à en
  faire la critique et à l’enseigner. Professeur de littérature
  française et québécoise au secteur universitaire du Collège
  Sainte-Marie, il deviendra ainsi l’un des fondateurs de l’Université du
  Québec à Montréal où il enseignera pendant trente
  ans au Département d’études littéraires et où,
  comme par un juste retour des choses, il « n’enseigne pas seulement à être
  un créateur : il montre à vivre », tel que l’écrit
  une de ses anciennes étudiantes, la romancière et poète
  Rachel Leclerc. Il milite au syndicat des professeurs jusqu’à sa
retraite en 1999. 
 Michel van Schendel a appris à aimer le Québec au point de ne
  plus douter qu’il n’y a qu’ici que son parcours d’écrivain
  et de poète aurait pu s’accomplir. Il exprime sa reconnaissance
  envers ceux qui l’ont aidé « à devenir pleinement
  poète ». Il pense au grand poète Paul-Marie Lapointe, l’ami
  proche des quelque cinquante dernières années. Il pense à l’homme,
  l’homme intègre, le solidaire, l’homme complet, l’ami,
  le poète, peintre, graveur, éditeur Roland Giguère, décédé au
  mois d’août 2003. Il en a tant reçu. Il pense à Gaston
  Miron ; il reconnaît avoir une dette envers cet autre ami qui a eu la
  sensibilité de l’aiguiller, dès 1956, sur l’exil,
  l’un des thèmes porteurs de toute son œuvre. Un premier recueil,
  Poèmes de l’Amérique étrangère, paraît
  en 1958. Puis suivront Autre, autrement en 1983, Extrême livre des voyages
  en 1987 et Bitumes en 1998. Deux ans plus tôt, paraissait Jousse
  ou la traversée des Amériques, conte à saveur autobiographique
  qui ne raconte pas vraiment, qui dépayse au sens littéral du
  terme, paroles d’errance dans le temps et l’espace jusqu’à l’enfance,
  texte qui, comme toujours, exige ouverture, intelligence et travail de la part
du lecteur. 
 Chez Michel van Schendel, le travail du théoricien et du critique est
  intimement lié à celui du poète et de l’écrivain.
  Il en résulte une puissance d’évocation et une densité qui
  provoquent le lecteur et qui singularisent grandement cette œuvre. Cela
  donne de très beaux livres comme L’Impression du souci ou l’étendue
  de la parole (1993) où se mélangent poésie et réflexions.
  Et auparavant, La Poésie et nous (1958), Ducharme l’admirable  (1967). En 1992 et 1993 paraissent les deux premiers de quatre tomes de méditations
  sur le poème intitulés Rebonds critiques. Les livres de Michel
  Van Schendel ont presque tous été publiés à l’Hexagone
dont il est vite devenu l’un des piliers. 
 L’œuvre de Michel van Schendel rayonne ici et à l’étranger.
  De l’œil et de l’écoute, rétrospective de vingt
  ans d’écriture poétique parue en 1980, obtient en 1981
  le Prix du Gouverneur général du Canada. Puis une traduction
  de ses poèmes paraît à Rome en 1990 sous le titre Delta
  di pietra et le dialogue auquel cette traduction a donné lieu avec Lucia
  Bonato sera publié en 1995 sous le titre Traduction : deux voix par
  la prestigieuse maison Bulzoni.
 
								 
								 
								