Naïm Kattan, lauréate

Naissance le 26 août 1928 à Bagdad (Irak), décès le 2 juillet 2021 à 

Entrevue

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Biographie

Il est né à Bagdad. Il est Juif. C’est en langue arabe qu’il a rédigé ses premiers écrits. Installé à Montréal depuis 50 ans, c’est comme essayiste, romancier et nouvelliste francophone qu’il a fait sa marque. « J’ai choisi, comme immigrant, de vivre en Amérique française et dès lors j’ai décidé, comme écrivain, de m’exprimer uniquement en français. »

Dans ses 35 livres, Naïm Kattan n’a eu de cesse d’aller à la rencontre de cultures différentes, de réfléchir sur les rapports humains et leur diversité. Son oeuvre, traduite en plusieurs langues dont l’arabe, est célébrée partout pour son universalité. On dit de l’auteur de La Réconciliation qu’il est un « passeur », qu’il représente le « carrefour des cultures à lui seul ».

De son propre aveu, Naïm Kattan a toujours été allergique aux ghettos. « Dès mon enfance, confie-t-il dans L’Écrivain du passage, j’ai été intéressé par l’autre, et l’autre, dans la rue, dans le voisinage, dans la ville, était le Musulman. »

À l’école, le jour, le petit Naïm apprend à lire le Coran; à la maison, le soir, sa mère lui raconte les récits bibliques. Outre la langue arabe, il pratique l’hébreu, l’anglais et le français. Dès l’adolescence, tout en couchant sur papier ses propres histoires inventées, le futur écrivain se découvre une passion pour les lettres françaises. Il partagera bientôt ses découvertes dans diverses revues irakiennes. Parmi ses auteurs de prédilection : Malraux, Breton… et Gide.

Naïm Kattan gardera toujours en mémoire cette nuit, à Bagdad, où il a recopié mot à mot Les Nourritures terrestres. Ce livre d’André Gide, affirme aujourd’hui le septuagénaire, a changé sa vie. « Il me disait à l’époque : Pars! Quitte ta ville. Va ailleurs. Sois libre. Ta vie t’appartient. Ton destin t’appartient. Tu es l’auteur de ton destin, l’auteur de tes propres mots, l’auteur de ta vie. »

En 1947, à l’âge de 18 ans, Naïm Kattan s’installe à Paris avec une bourse du gouvernement français. Inscrit en lettres à la Sorbonne, il s’intègre très vite au milieu littéraire parisien. En plus de collaborer à différentes publications en Irak, où il s’est taillé une place comme critique spécialisé en littérature française, il signe des articles dans la presse parisienne. Mais, déception majeure, c’est comme spécialiste du Moyen-Orient et de la littérature arabe qu’on fait appel à lui dans sa ville d’adoption. « Ce qui était ma distinction à Bagdad est tombé à l’eau quand je suis arrivé à Paris! »

Au début des années 50, le jeune homme fait un séjour aux États-Unis où on l’invite à donner des conférences. C’est le coup de foudre. « J’ai vu que tout était possible en Amérique. Pas besoin de cartes de travail. On me disait : Vous pouvez rester ici . On ne me demandait même pas mon passeport à l’hôtel. Il y avait une sorte de liberté que je ne trouvais pas en France comme immigrant. »

Dès lors, il décide que sa vie sera désormais en Amérique. Mais pas question pour lui de tourner le dos à la langue de Molière. « J’avais un engagement envers le français. Un engagement émotif, intérieur. »

Quand il débarque à Montréal en 1954, cet intellectuel juif parlant français est une curiosité. « À l’époque, être francophone voulait dire ipso facto être catholique. Moi, je suis allé voir le Congrès juif et je leur ai dit : Comment se fait-il que vous ne fassiez rien en français dans une ville francophone?! » Il mettra sur pied Le Bulletin du Cercle juif : « C’était un petit journal, mais c’était le premier non catholique écrit en français au Québec. »

Dès le début des années 60, Naïm Kattan collabore au journal Le Devoir, où il fait la critique des romans canadiens-anglais et américains. À peu près à la même époque, il signe des articles sur la littérature québécoise dans une revue torontoise. En 1967, il est nommé responsable des lettres et de l’édition au Conseil des Arts du Canada, où il oeuvrera pendant 25 ans.

Au fil du temps, cet homme curieux, visionnaire et rassembleur deviendra un acteur essentiel de la vie littéraire québécoise et canadienne. Mais il lui aura fallu plusieurs années avant de renouer avec l’écrivain qu’il portait en lui. « En choisissant de ne plus écrire en arabe lors de mon arrivée à Montréal, je me suis imposé un silence littéraire. J’ai mis une quinzaine d’années avant de parvenir à m’exprimer en français comme écrivain. »

Son premier livre, Le Réel et le Théâtral, un essai novateur sur les différences entre l’Orient et l’Occident, paraît en 1971. L’ouvrage lui vaut le prix France-Canada et les louanges d’André Malraux. Ce n’est que cinq ans plus tard, après un recueil de nouvelles, que Naïm Kattan se risque au roman, avec Adieu Babylone, inspiré de son enfance à Bagdad. À propos de ce livre réédité en France l’an dernier, Albert Memmi fait remarquer que s’y trouvent déjà « tout l’homme et l’écrivain, sa tendresse et son dévouement envers les siens, la chaleur et la justesse du style ». L’essayiste d’origine tunisienne ajoute : « Ce livre décrit aussi cette double lutte, lancinante pour nous tous : comment prendre ses distances, pour retrouver un nouveau terreau? Et comment vivre avec ses nostalgies sans s’y laisser engluer? »

Naïm Kattan s’est toujours méfié de la nostalgie. Dans le liminaire d’un ouvrage récent qui rassemble l’essentiel de ses essais, La Parole et le Lieu, il affirme, parlant de son pays d’adoption : « J’ai décidé de faire mien ce pays et d’échapper à la fois à l’exil et à la nostalgie, c’est-à-dire un refus de diminuer mon nouveau pays, refus aussi ferme que celui d’idéaliser le pays de mes origines. »

Il n’oubliera jamais ce qu’il a vu à Bagdad en 1941, lors de ce qu’il est convenu d’appeler « le Farhoud ». Il avait 13 ans. Un gouvernement pronazi avait alors pris le pouvoir en Irak, l’armée du pays avait fui, les soldats anglais se faisaient attendre. Pendant deux jours, « la ville fut livrée à elle-même », relate Naïm Kattan dans L’Écrivain migrant. Il se souvient : « Des hordes de nomades qui campaient dans les alentours, rejointes par des musulmans des quartiers populaires de la ville, se livrèrent au pillage des quartiers juifs, assassinant plusieurs centaines d’hommes et de femmes et blessant des milliers d’autres. »

Il n’est jamais retourné en Irak. « Ce n’était pas possible! » Tandis qu’il vivait en France, l’étudiant s’était vu refuser le renouvellement de son passeport irakien. « Je suis devenu apatride. » Il n’était pas le seul. « En 1951, les Juifs, qui constituaient le tiers de la population de Bagdad et représentaient une communauté établie là depuis 25 siècles, ont été forcés de quitter le pays. Ensuite, ce fut dictature après dictature. Non seulement les Juifs, mais tous mes amis musulmans qui étaient écrivains ou intellectuels étaient soit condamnés à quitter l’Irak, soit en prison, soit tués. »

Naïm Kattan a l’habitude de dire qu’il est né trois fois : la première à Bagdad, la deuxième à Paris et la troisième à Montréal. « Je suis né à Bagdad, c’est réel, c’est mon enfance, ma famille, mes racines. Je suis né à nouveau à Paris, où j’ai découvert en vrai et pas seulement dans les livres la culture et la civilisation de l’Occident. C’est là aussi que j’ai pu, pour la première fois, parler en tête à tête avec une jeune fille. Ma troisième naissance, la plus fondamentale, s’est faite à Montréal : une ville qui contient toutes les autres, où toutes les ethnies, les religions et les langues survivent, mais où il doit y avoir une langue commune pour que les gens puissent s’entendre et se parler : le français. »

Naïm Kattan est aujourd’hui considéré comme un « pionnier de la défense de la langue française dans les milieux juifs et migrants au Québec et au Canada ». Mais ça ne s’arrête pas là. Les honneurs et les hommages à son endroit se sont multipliés au cours des années : officier de l’Ordre du Canada, officier de l’Ordre des arts et lettres de France et chevalier de l’Ordre national du Québec, il a reçu en 2002 les insignes de chevalier de l’Ordre national de la Légion d’honneur de France.

Il y a plus de 30 ans, l’écrivain migrant concluait ainsi son premier livre : « Je n’accepte pas la fixité des lieux sûrs et le confort des certitudes. » Il n’a pas dévié de sa voie. Reprenant la formule de Gaston Miron qui disait qu’« un amour ne nie pas un autre amour, mais l’intègre et le contient », Naïm Kattan affirme aujourd’hui : « Pour moi, une culture ne nie pas l’autre. Mes cultures ne se font pas concurrence. »

Information complémentaire

Date de remise du prix :
9 novembre 2004

Membres du jury :
Stanley Péan (président)
Pan Bouyoucas
Isabelle Daunais
Hélène Dorion
Jean Pierre Girard

Crédit photo :
  • Denis Chalifour
Texte :
  • Danielle Laurin