Pierre Mignot, lauréate

Naissance le 23 février 1944 à Montréal, décès le à 

Entrevue

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Biographie

Au début des années 1980, son nom est sur toutes les lèvres des artisans du milieu cinématographique québécois et des journalistes. C’est qu’une des personnalités les plus fortes du cinéma américain des années 1970 fait appel à lui. Le cinéaste s’appelle Robert Altman, et la personne, qui est un directeur de la photographie québécois, se nomme Pierre Mignot. Son nom sera à jamais collé à la carrière de l’Américain puisqu’à partir de 1982, il travaillera sur de nombreuses productions d’Altman.

Pierre Mignot raconte : « Robert Altman devait venir tourner Easter Egg Hunt à Montréal en 1980 et cherchait un directeur photo. Il avait mon nom sur une liste car il avait vu à Cannes, en 1977, J. A. Martin, photographe, de Jean Beaudin, pour lequel Monique Mercure avait remporté le prix d’interprétation féminine ex æquo avec Shelly Duval de Three Women. Il a demandé de me rencontrer et ça a cliqué. Le film ne s’est pas fait et ce n’est qu’un an plus tard que ma collaboration débute avec lui, pour Come Back to the Five and Dime, Jimmy Dean, tourné en studio, sans aucun extérieur, à New York. »

Sa dernière collaboration avec Altman remonte à Prêt-à-porter, qui sort en 1994. Il aura tourné neuf films en douze ans aux côtés de ce cinéaste avec qui il a entretenu une grande complicité. Si sa collaboration cesse, c’est autant par peur d’une routine qu’à cause des voyages, de l’éloignement de sa famille, sans parler des difficultés de parler la langue de Shakespeare. « Je ne la maîtrise pas vraiment complètement », avoue-t-il. C’est aussi pour ces raisons qu’il n’a pas voulu faire carrière à Hollywood où, pourtant, il aurait pu déménager et gagner très bien sa vie. « On m’offrait des contrats de longue durée sans droit de regard et cela ne m’intéressait pas. J’avais envie de travailler dans mon pays, avec des Québécois, avec des gens avec qui j’ai des atomes crochus. »

Il ne chômera pas au Québec. Il collabore avec une vingtaine d’auteurs, de Robert Favreau ( Un dimanche à Kigali ) à Jean-Marc Vallée ( C.R.A.Z.Y. ), en passant par Gilles Carle ( Maria Chapdelaine ), Jacques Leduc ( La vie fantôme ) et Robert Lepage ( ). Et il reste fidèle à certains, comme Jean Beaudin ( Mario, Sans elle ), Léa Pool ( Anne Trister, À corps perdu, Le papillon bleu, entre autres) et Robert Ménard (dont Une journée en taxi et Cruising Bar ).

Était-il prédestiné à devenir directeur de la photographie un jour? Tout est affaire de hasard comme cela arrive habituellement. Il commence à s’intéresser à la photo vers l’âge de 12 ans grâce à un copain qui l’invite un soir à venir voir son frère qui développe chez lui ses pellicules. « Quand j’ai vu apparaître un portrait dans le bain de développement, cela m’a fasciné. Je me suis dit : ˝C’est ça que je veux faire plus tard˝. » Il économise l’argent qu’il gagne comme livreur d’épicerie pour acheter un appareil photo. Il apprend donc sur le tas, avec essais et erreurs, les techniques de l’image. Il tourne également des films en 8 mm et en super-8. Plus tard, durant ses études collégiales, il gagne des sous en faisant des photos de mariage. Comme il n’y a pas de cours de photographie au Québec à l’époque, et ne pouvant s’inscrire dans les grandes écoles en Pologne, en Italie ou en France — ses parents sont d’un milieu modeste —, il étudie la technique de réfrigération.

Il remplace un jour un ami malade qui est photographe de plateau et il a un deuxième coup de foudre : le cinéma. Il entend dire que Michel Brault tourne Entre la mer et l’eau douce et, prenant son courage à deux mains, va le voir et lui demande s’il peut occuper une charge. Brault lui répond que le montage débute. Durant six mois, Pierre Mignot est assistant-monteur. Il décide alors de se lancer dans le métier et va porter des demandes d’emploi à l’Office national du film (ONF), à Radio-Canada, à des entreprises privées, comme Delta Films qui l’engage et lui fait faire autant de l’image et du son que du laboratoire de développement. La chance lui sourit : en 1967, l’ONF l’appelle pour qu’il soit assistant-caméraman d’un court métrage dont le chef opérateur est Alain Dostie. Il reste douze ans dans la boîte où il passe par tous les métiers touchant la caméra, tant pour des fictions, comme Entre tu et vous de Gilles Groulx, que pour des documentaires, comme Ntesi Nana Shepen 1 d’Arthur Lamothe. Il y réalise même, en 1973, un moyen métrage documentaire sur une course de voiliers intitulé Sous le vent.

Quand Pierre Mignot quitte l’Office national du film en 1979 pour devenir pigiste, il a déjà à son actif J. A. Martin, photographe. « Mais mon premier film en tant que directeur photo est C’est ben beau l’amour de Marc Daigle, en 1971, qui était une production privée, précise-t-il. C’était une fiction et, en fait, c’est par la fiction que j’ai vraiment acquis mon métier. » Ce métier, il désire le pratiquer le plus librement possible en choisissant les réalisateurs avec lesquels il a des affinités. « Le scénario aussi m’importe », indique-t-il.

Il a pourtant à cette époque une trentaine de films à son actif, presque tous des longs métrages, auxquels il ajoute depuis 1979 plus de 50 films qu’il choisit toujours soigneusement. N’aimant pas les grosses productions de type hollywoodien, dans lesquelles il y a des vedettes à l’égo surdimensionné, il préfère les films à petit budget, comme le sont généralement les longs métrages québécois. Ce qui facilite le rapport avec l’auteur du film. Est-ce que cela lui permet également d’affirmer sa touche? Pierre Mignot s’en défend : c’est le réalisateur qui impose son style, sa manière de voir. Lui, il est à son service. Le métier demande avant tout une grande capacité d’adaptation que l’expérience, les connaissances, la sensibilité et le désir de perfection compléteront.

Chaque cinéaste a sa vision et ses méthodes. Avec Jean Beaudin, il faut savoir de lui qu’il est aussi rigoureux que rigide; il prépare minutieusement les plans sur place; ayant étudié aux beaux-arts, il connaît le cadrage et la lumière; il est très directif. « Ma part de création se situe dans l’éclairage », insiste Pierre Mignot. La méthode de Léa Pool est différente : elle prépare le découpage avec lui; ses références sont souvent des photographies et des tableaux; il y a une plus grande intimité avec elle. Avec Robert Ménard, si le découpage est déjà fait, c’est au moment du tournage que le champ est laissé au chef opérateur. Tandis qu’avec Robert Altman la part d’improvisation est très grande, le scénario peut même changer au tournage. « J’avais carte blanche avec lui. » Il précise : « Certains sont visuels, d’autres moins, et naturellement, pour un directeur photo, les cinéastes très visuels sont un enchantement, par exemple Jean-Marc Vallée qui, comme Beaudin, a déjà beaucoup réfléchi sur les plans à tourner, il sait ce qu’il veut, mais il te donne beaucoup de liberté. »

Pour cet admirateur de directeurs de la photographie comme Gordon Willis et Néstor Almendros, l’image est une émotion. Pierre Mignot ne cherche donc pas à développer un style pictural reconnaissable. Selon lui, le chef opérateur met en images la pensée du réalisateur. « Il faut se fier à son instinct, parer l’imprévisible, oser, savoir être modeste et accepter qu’on ne fera pas un chef-d’œuvre chaque fois. Mais certains films me donnent plus de satisfaction que d’autres, comme J. A. Martin, photographe, Sans elle, À corps perdu, C.R.A.Z.Y. , qui répondent à mes besoins, à mes désirs de photographe. »

Sa carrière prolifique est reconnue par des prix, dont cinq Gémeaux et trois Jutra. Il est nommé Grand Montréalais de l’avenir en 1983. La Cinémathèque québécoise lui consacre en 2005 une rétrospective avec une quinzaine de films. Pierre Mignot a beaucoup travaillé, travaille encore beaucoup. « Je peux même dire que j’ai beaucoup trop travaillé, reconnaît-il. J’ai 63 ans maintenant et j’ai envie de me reposer un peu. »

Difficile de le croire : il ne le pourra jamais tant son talent est recherché, sa compétence et sa créativité ayant largement contribué à donner au cinéma québécois professionnalisme et prestige.

Information complémentaire

Date de remise du prix :
6 novembre 2007

Membres du jury :
Marcel Jean, président
Marc Daigle
Martine Mauroy
Monique Spaziani

Crédit photo :
  • Rémy Boily
Crédit vidéo :
Production : Ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale du Québec
Réalisation : Alain Drolet
Caméra et direction photo : Richard Tremblay
Caméra : Alain Drolet
Prise de son : Donald Fortin
Montage : Andréane Cyr, Digipoint
Montage sonore : Stéphane Carmichael, Studio Expression
Programmation DVD : Jean Michaud, Digipoint
Compression numérique : Hugo Comtois, IXmédia
Musique originale : Alexis Le May
Musiciens : Katia Durette, Yana Ouellet, Stéphane Fontaine, Annie Morier, Caroline Béchard,
Suzanne Villeneuve, Benoît Cormier, Jean Robitaille, André Villeneuve, Daniel Tardif, Alexis Le May,
Éric Pfalzgraf
Narratrice : Sophie Magnan
Entrevue : Marie-Christine Trottier
Texte :
  • André Roy