Suzanne Lebeau, lauréate

Dramaturgie

Naissance le 28 avril 1948 à Montréal, décès le à 

Entrevue

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Biographie

D’abord comédienne, passionnée de théâtre classique et d’alexandrins, Suzanne Lebeau a découvert le théâtre pour enfants par hasard, au tournant des années 1970. Ce sera un coup de foudre pour le jeune public, et le début d’un questionnement sur une pratique qui a encore tout à inventer. De 1971 à 1973, boursière du gouvernement du Québec, elle étudie le mime chez Étienne Decroux à Paris, puis chez Henryk Tomaszewski à Wroclaw (Pologne), ville qui est aussi un haut lieu du théâtre de marionnettes, tant pour enfants que pour adultes. De retour au pays, elle constate que malgré la vitalité et la multiplication des réseaux et des formes théâtrales, le jeune public n’est pas toujours traité avec l’intelligence qu’il mérite.

La dramaturge considère qu’elle est née à l’écriture pour la jeunesse avec Une lune entre deux maisons, créée en 1979. C’est sa sixième pièce. « Même si, avant ce texte, j’écrivais avec le plus de rigueur possible, je ne savais pas encore aller chercher le point de vue de l’enfant sur le monde », évalue-t-elle rétrospectivement. Depuis ce temps, la dramaturge a reçu son lot d’éloges, ici et à l’étranger. Elle fait partie des auteurs québécois les plus joués dans le monde et la compagnie de théâtre le Carrousel, qu’elle a fondée en 1975 avec le metteur en scène Gervais Gaudreault, tout à la fois collègue, complice et compagnon de vie, tourne depuis plus de 35 ans sur trois continents. Ultime consécration : sa pièce Le bruit des os qui craquent, Prix littéraire du Gouverneur général du Canada dans la catégorie théâtre en 2009, a été présentée à la Comédie-Française en février 2010. Une grande première pour un auteur jeunesse québécois! Il faut dire que cette pièce au sujet des plus singuliers – les enfants soldats – a été lancée à Montréal dans un lieu de création et de diffusion « pour adultes » (le Théâtre d’Aujourd’hui).

La marque distinctive de Suzanne Lebeau, c’est la force des thèmes alliée à la limpidité de l’écriture. Cette ennemie déclarée du didactisme et de l’infantilisation en littérature jeunesse a un leitmotiv : « repousser toujours un peu plus loin les frontières du permis et du possible ». Il en résulte des univers crus et poétiques où s’affrontent le bien et le mal, la marginalité et la normalité, les zones d’ombre et les parts de lumière… Univers jamais manichéens pour autant, qui s’appuient sur des contradictions riches de sens afin de permettre à l’enfant de faire sa propre lecture, plutôt que de lui imposer une interprétation. Comment vivre avec les hommes quand on est un géant (créée en 1989), L’Ogrelet (1997), un conte noir dont il existe notamment des versions galicienne et maya!, et Petit Pierre (2002) en sont assurément, parmi les quelque 25 pièces de la dramaturge, trois des illustrations les plus puissantes.

De 1989 à 2002, Suzanne Lebeau enseigne l’écriture pour jeune public à l’École nationale de théâtre du Canada. Une étape importante pour la dramaturge qui se double d’une chercheuse, et qui dit avoir fréquenté trois écoles : les enfants, les mises en scène de Gervais Gaudreault et ses élèves. « L’écriture pour la jeunesse exige le doute raisonnable. Pour réussir à toucher et à bouleverser le jeune public, il faut être à son écoute, suivre son évolution, comprendre sa relation au monde, à un monde en perpétuel changement », dit Suzanne Lebeau. C’est cette vision, qui consiste à placer les enfants au cœur de la démarche d’écriture, à faire confiance à leur intelligence et à leur force morale, qu’elle aura partagée avec ses élèves. « Les enfants ont une connaissance instinctive des vrais enjeux », croit intimement la dramaturge, et elle a voulu transmettre cette conviction aux jeunes auteurs.

Reconnue internationalement comme chef de file de la dramaturgie pour jeune public, Suzanne Lebeau est invitée à l’étranger à titre de conférencière ou d’auteure en résidence, ou encore pour donner des ateliers d’écriture. C’est ainsi que des États-Unis au Cameroun, en passant par le Mexique, l’Amérique latine, le Royaume-Uni, l’Espagne, la Russie et bien sûr l’Europe francophone, elle n’a eu de cesse de partager ses interrogations et sa vision de l’art avec les publics et les auteurs croisés sur sa route. Preuve de l’universalité de la dramaturge, son œuvre est traduite dans une quinzaine de langues, dont l’allemand, le russe et le mandarin.

Suzanne Lebeau jouit aussi d’une aura particulière dans la Francophonie; l’Assemblée internationale des parlementaires de langue française l’a d’ailleurs faite chevalier de l’Ordre de la Pléiade, en 1998, pour l’ensemble de son œuvre. La France, où elle a un éditeur attitré (les Éditions Théâtrales), demeure un lieu de recherche, de création et de partage privilégié. Par exemple en 1993-1994, elle fait une première résidence d’écriture à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, un des centres de recherche et de création dramaturgique les plus importants d’Europe. Elle y retournera régulièrement. C’est durant son premier séjour à la Chartreuse qu’elle écrit Salvador, pièce politiquement engagée à la carrière impressionnante qui sera jouée à Broadway, au New Victory Theatre. De 2001 à 2009, elle a été artiste associée au Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine, en banlieue parisienne. Enfin, elle a le privilège d’avoir quelques pièces inscrites au cursus de l’Éducation nationale.

Assez vite, l’écriture de Suzanne Lebeau a eu du retentissement au Québec et la dramaturge a fait mentir l’adage voulant que nul ne soit prophète en son pays. En témoignent les treize années d’enseignement à l’École nationale, le Grand Prix de théâtre du Journal de Montréal obtenu en 1991, le Masque du texte original décerné par l’Académie québécoise du théâtre en 2000 ou encore, ce rôle-conseil qu’elle joue depuis 1980 auprès d’auteurs et d’organismes. Séduit par la richesse de son parcours artistique, le Musée de la civilisation de Québec retient sa collaboration pour deux expositions : Grandir, en 1997, et De quel droit? (sur le 50e anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme), en 1998. Tout récemment, soit en 2009, c’est l’homme de théâtre Wajdi Mouawad qui reconnaissait son travail rigoureux et novateur en l’invitant à diriger une classe de maître au Centre national des Arts du Canada, à Ottawa. Avec ce premier laboratoire en écriture jeune public de son histoire, l’institution donnait des lettres de noblesse à une pratique encore trop souvent marginalisée, voire méprisée.

Si, dans les années 1970, Suzanne Lebeau s’insurgeait contre « les âneries » proférées aux enfants, la dramaturge déplore que l’on continue de leur proposer une gamme de sentiments limitée, qui va de -1 à +1. « Gervais Gaudreault et moi avons fondé le Carrousel pour pouvoir parler librement du monde tel qu’il est, tendre et cruel, et nous donner le droit d’explorer les langages les plus contemporains de la théâtralité », dit-elle. C’est dans cet espace de liberté, donc, que se déploie l’écriture sans compromis de Suzanne Lebeau. Une écriture qui témoigne que le théâtre pour jeune public est un art important, exigeant, et que les enfants doivent être considérés dans leur complexité, dans leur soif d’émotion et de sens. Une écriture qui, touchant si bien les enfants, transcende les frontières de l’âge pour atteindre à l’universalité. Une écriture, tout simplement.

Information complémentaire

Date de remise du prix :
9 novembre 2010

Membres du jury :
Jacques Paquin (président)
Hervé Bouchard
Mario Brassard

Crédit photo :
  • Rémy Boily
Crédit vidéo :
Production : Sylvain Caron Productions Inc
Réalisation : Sylvain Caron
Coordinatrice de production : Nathalie Genest
Caméra et direction photo : Jacques Desharnais
Prise de son : Serge Bouvier et Jean-François Paradis
Maquillage : Anne Poulin
Montage : Sylvain Caron
Mixage sonore : Luc Gauthier, Studio SonG
Musique originale : Christine Boillat
Musiciens : André Bilodeau, Christine Boillat, David Champoux et Daniel Marcoux
Entrevue : Pascale Navarro
Lieu du tournage : Télé-Québec
Texte :
  • Francine Bordeleau