Marcel Fournier, lauréate

Entrevue

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Biographie

Marcel Fournier n’avait pas encore entamé ses études universitaires en sociologie que, fraîchement sorti du collège classique, il se dote d’une devise forte dont encore aujourd’hui il semble suivre la règle : « Démystifier! »

Le mot est clair et l’intention tout autant. En choisissant la sociologie, le jeune Fournier vient de tourner le dos à la carrière souhaitée pour lui par ses parents : l’étude du droit. Celui qui sera l’élève de Marcel Rioux à l’Université de Montréal, puis celui de Pierre Bourdieu à l’École des hautes études en sciences sociales (France), souhaite alors étudier sa société et la critiquer en se basant sur des connaissances solides. « Il y avait dans mon choix une volonté de rupture et un engagement social : contester l’ordre des choses, changer la société. »

Pour définir ce qu’est la sociologie, Marcel Fournier fait sien le mot de Pierre Bourdieu qui disait qu’elle était un sport de combat, c’est-à-dire qu’elle implique une participation aux controverses et aux débats de notre société. Le sociologue est donc un scientifique dans une position particulière, car travaillant sur la société, il ne peut pas se situer à l’extérieur de celle-ci.

Il ajoute que la sociologie est aussi un sport de haut niveau qui exige une formation sérieuse pour celui qui s’y engage. L’auteur de l’ouvrage d’introduction Profession sociologue, publié aux Presses de l’Université de Montréal, insiste également sur la méthodologie rigoureuse de son champ d’études qui en fait une véritable science, même si son sujet particulier, la société, le distingue des autres disciplines scientifiques.

« Je tente de montrer que la sociologie est une science, mais pas comme les autres, qu’elle est une profession bien établie. Elle ouvre des carrières passionnantes dans l’enseignement, la recherche, la fonction publique, et aussi dans l’entreprise privée. La contribution que la sociologie apporte est aujourd’hui plus importante que jamais. »

Aujourd’hui professeur de sociologie à l’Université de Montréal, Marcel Fournier a enseigné dans de nombreuses universités européennes et américaines. On dit de lui qu’il est le sociologue québécois de sa génération ayant le plus grand rayonnement international. Ses travaux sur l’École de sociologie française, qu’il mène depuis plus de 30 ans, sont reconnus mondialement et il intervient régulièrement dans de nombreux colloques et rassemblements scientifiques.

Recevoir le prix Léon-Gérin revêt une signification toute particulière pour le professeur Fournier, puisque ce prix porte le nom du premier sociologue au Québec et au Canada. Il est d’autant plus sensible à cet honneur que l’on compte parmi les lauréats qui l’ont précédé trois des plus grands sociologues québécois, Marcel Rioux, Fernand Dumont et Guy Rocher, qui ont tous été ses professeurs. Il assure : « Je suis très fier de recevoir ce prix qui m’inscrit dans une lignée très prestigieuse. »

Lorsqu’on lui demande de nous parler de sa carrière, le professeur Fournier la distingue en deux parties : « La première, depuis l’obtention de mon doctorat en 1974 et mon association à l’Institut québécois de recherche sur la culture, jusqu’au milieu des années 1980, a été consacrée à l’étude des grandes transformations socioculturelles qu’a connues le Québec entre 1920 et 1950. Cette étude a conduit à la publication de mon livre L’entrée dans la modernité : Science, culture et société au Québec. J’y défends l’idée, maintenant fort partagée, que cette entrée dans la modernité s’est effectuée bien avant la Révolution tranquille. »

C’est pour répondre à une question inspirée par ses travaux, « Qu’est-ce qui fait qu’une société, surtout lorsqu’elle change, "tient ensemble"? », que Marcel Fournier se tourne alors vers les travaux du fondateur de la sociologie française, Émile Durkheim. Ses recherches sur Durkheim et son collaborateur et neveu, Marcel Mauss, ont occupé quinze années de travail et d’écriture du sociologue québécois.

D’ailleurs, parmi les nombreux articles scientifiques et ouvrages qu’a publiés le professeur Fournier, il faut souligner la première grande biographie en français d’Émile Durkheim (Fayard, 2007). Il a aussi publié la biographie de Marcel Mauss (Fayard, l994), un ouvrage de plus de 800 pages. Ces deux documents de référence ont été traduits dans plusieurs langues. Au total, ce sont six œuvres d’envergure qu’a écrites Marcel Fournier sur la théorie et l’histoire de la sociologie. Encore aujourd’hui, l’étude de Mauss occupe ses recherches, notamment ses travaux sur la nation, tandis qu’il publiera cette année un ouvrage consacré à la sociologie française contemporaine, aux Éditions du Seuil.

En collaboration avec Yves Gingras et Othmar Keel, le professeur Fournier a également dirigé la publication Sciences et médecine au Québec (1987), qui est devenue rapidement une référence incontournable en histoire sociopolitique des sciences au Québec. Le professeur Fournier a également été directeur de la revue Sociologie et Sociétés et membre du comité exécutif de l’Association internationale de sociologie.

Ce rapport à l’écriture est primordial dans la vie de Marcel Fournier. Ainsi, en plus de ses ouvrages et de ses publications dans des revues scientifiques, celui qui se définit comme un savant au sens classique du terme est intervenu tout au long de sa carrière dans les médias écrits afin de s’impliquer dans les débats politiques de l’heure.

« Pour moi, la meilleure façon de vivre ses convictions est d’observer une distance critique. On a tendance à se créer des mythes, il est important de ne pas trop y croire et de ne pas s’enfermer dans des doctrines trop rigides. L’intellectuel ne doit être au service ni d’un gouvernement, ni d’un parti politique. J’ai pour ma part toujours eu de la difficulté à suivre une ligne de parti et à partager une idéologie, surtout lorsqu’elle est trop rigide. »

Ainsi, son engagement dans la société est toujours passé par l’écrit, que ce soit par des interventions dans la revue Possibles, créée par Marcel Rioux, ou encore dans le quotidien Le Devoir. Cette tâche, qu’il décrit lui-même comme étant très exigeante, lui permet de « jouer plus activement son rôle d’intellectuel dans la société ». Ce spécialiste de la société aimerait d’ailleurs ajouter une corde à son arc et s’atteler à la rédaction d’un roman à teneur autobiographique, qu’il envisage d’intituler Un jeune homme sans conviction, en clin d’œil à Robert Musil qui a écrit L’homme sans qualités, une œuvre considérée comme l’un des romans fondateurs du 20e siècle.

Pour son exceptionnelle implication à la vie scientifique internationale et sa participation à des programmes de coopération internationale, Marcel Fournier a reçu le prix Adrien-Pouliot de l’Association francophone pour le savoir (Acfas). Il est également membre de la Société royale du Canada et a été nommé officier dans l’Ordre des Palmes académiques par le ministère de l’Éducation nationale en France.

Information complémentaire

Date de remise du prix :
12 novembre 2013

Membres du jury :
Robert Bourbeau
Lucie Guillemette
Paule Halley
Daniel Jacques
Jérôme Laurent

Crédit photo :
  • Rémy Boily
Crédit vidéo :
Production : Sylvain Caron Productions Inc.
Réalisation : Sylvain Caron
Coordinateur de production : Frédéric Blais-Bélanger
Caméra et direction photo : Frédéric Blais-Bélanger
Prise de son : Serge Bouvier, Jean-François Paradis
Maquillage : Camille Rouleau
Montage : Frédéric Blais-Bélanger, Sylvain Caron, Ian Morin
Mixage sonore : Studio SonG
Musique originale : Luc Gauthier
Entrevues : Suzanne Laberge
Texte :
  • MESRST