Peter Tsantrizos, lauréate

Biographie

Traiter la masse croissante des déchets est devenu tout un défi pour l’humanité. Défi que Peter Tsantrizos relève avec panache et inventivité. À la tête de sa compagnie Terragon, qui emploie une quarantaine de personnes, il développe des technologies vertes pour valoriser les détritus. À l’âge de cinq ans, cet inventeur rêvait d’ailleurs de devenir éboueur, un métier lié à la gestion des déchets. Des années plus tard, sa mère le taquinait sans merci avec ce rêve de petit garçon. « Tu es allé à l’université, tu as étudié le génie chimique, tu as obtenu un doctorat… et tu as quand même fini par t’occuper des poubelles! », lançait-elle en riant.

« Je suppose que je suis devenu la personne que j’étais destiné à être », conclut avec humour le lauréat du prix Lionel-Boulet 2017.
Chaque Canadien jetterait en moyenne trois kilos de matières par jour. Trente pour cent de sa consommation quotidienne d’énergie irait ainsi droit aux poubelles! Avec son équipe, l’inventeur fournit des outils et de la formation pour convertir ces matières en ressources, sur les lieux mêmes. « En bref, nous avons décidé qu’il n’y aurait plus de déchets », résume-t-il.

Fondée en 2004, l’entreprise Terragon commercialise deux appareils qu’elle a inventés : WETT purifie, par traitement électrochimique, les eaux usées; MAGS transforme des déchets en énergie. Ce dernier chauffe les résidus à 650 °C pour les transformer en un gaz qui est enflammé à ultra-haute température, puis évacué dans l’air après dépollution. Il ne reste dans la cuve qu’une pelletée de carbone, substance inoffensive qui entre dans la composition d’engrais. Toutes les matières peuvent être traitées ainsi, sauf le verre et le métal.

De la taille d’un petit cabanon, chaque machine peut éliminer les ordures produites par 500 personnes tout en générant l’énergie requise par son fonctionnement, voire plus. Un atout précieux dans les lieux dépourvus de service de collecte : navires au long cours, hôtels en nature, chantiers isolés, etc. « Un marché excitant est celui des bateaux de croisière à destination de l’Arctique, où il n’existe pas d’installations de décharge », précise le PDG. En 2017, Terragon a d’ailleurs remporté un prix au concours international GreenTec, qui récompense des produits et des projets novateurs pour l’environnement. Une vingtaine de machines de l’entreprise, fabriquées dans son usine montréalaise, vrombissent déjà en Amérique et en Europe.

Quelle ascension exaltante pour ce Néo-Canadien, arrivé de Grèce avec ses parents en 1971! Le petit Panayotis – qui choisira plus tard le nom de Peter – déboîtait tous les appareils de la maisonnée pour comprendre leur fonctionnement. « Je pense bien être un ingénieur né », reconnaît-il.

Peter Tsantrizos, qui a obtenu son doctorat en génie chimique de l’Université McGill en 1988, est un être particulier : son cerveau abrite une fabrique à idées dans sa partie gauche et un incubateur d’entreprises dans sa partie droite. Capable de cerner un problème et d’imaginer une solution, il peut aussi assurer le transfert technologique. Détenteur de 16 brevets, il a contribué à fonder plusieurs compagnies, dont Terragon et PyroGenesis. Celle-ci produit notamment des appareils servant à faire le traitement des déchets sur les navires, ainsi que de la poudre de titane extrafine pour impression 3D.

Mais ce ne sont pas les choses qu’il crée qui le rendent le plus fier. Ce sont plutôt les objectifs qu’elles servent. « La technologie donne le pouvoir, pas la sagesse, dit-il. Ceux qui inventent des outils doivent aussi développer dans la société le discernement requis pour bien en user. »

C’est justement ce qui porte son nouveau projet, nommé Programme des gardiens. Avec des collaborateurs, l’ingénieur veut former de jeunes Inuits à l’usage de nouvelles technologies (de Terragon ou d’autres compagnies), pour que leurs communautés deviennent plus autonomes dans la production d’énergie, d’eau et de nourriture. Il s’agit de briser la dépendance à l’égard de produits importés du Sud, qui est peu écologique et, surtout, dommageable pour la fierté des peuples nordiques. « Générer une énergie propre, faire pousser des aliments en serre ou à la ferme, purifier l’eau, qui dans le Nord est souvent contaminée… Ces activités aideront les gens à développer les compétences qui mènent à l’autonomie et à une vie saine », estime-t-il.

Mais le travail est-il vraiment du travail quand on y prend plaisir? D’une certaine façon, on pourrait dire que le président de Terragon ne travaille jamais… Cependant, il consacre à la mission de sa vie chaque minute qu’il ne passe pas avec sa famille, qui compte maintenant trois petits-enfants. Cet humaniste considère comme son plus grand succès d’avoir réuni autour de lui une équipe de collaborateurs engagés. Il a d’ailleurs accueilli près de 50 étudiants pour un stage ou un emploi d’été.

Lorsqu’il enseignait à l’Université McGill, dans les années 1980, le jeune professeur avait créé le cours Impact social de la technologie. La notion semblait alors d’avant-garde. Aujourd’hui, elle appartient au cursus officiel. « Le génie doit avoir un objectif qui va plus loin que la fabrication de machines, martèle Peter Tsantrizos. Pour résoudre les problèmes de l’humanité, nous devrons recourir à toute notre ingéniosité, qui nous aidera à adopter un comportement durable. Et ainsi, nous pourrons léguer aux générations futures, et notamment à tous ces enfants imaginatifs qui, par exemple, rêvent de devenir éboueurs, un environnement plus vert au sein duquel la valorisation des ressources par les technologies propres est privilégiée. »

Information complémentaire

Membres du jury :
Jacques Deguise (président)
Paul Fortier
Michèle Heitz
Federico Rosei

Crédit photo :
  • © Éric Labonté
Texte :
  • MESI